CARABINE DE CHASSE « MAURESQUE » PAR HENRI LEPAGE À PARIS, COMMANDE SPÉCIALE EFFECTUÉE EN 1840 POUR LE CÉLÈBRE PEINTRE D'HISTOIRE MILITAIRE, HORACE VERNET.
Canon turc en acier damas rayé avec décor d’arabesques en or au tonnerre et à la bouche moulurée (L 64 cm de la hausse à la bouche, 72,5 cm avec la queue de culasse, diamètre bouche 1,95 cm, calibre 1,35 cm). Une nouvelle chambre a été adaptée pour recevoir deux charges superposées avec mises à feu successives par deux cheminées juxtaposées, selon le système « Bis in idem » de Lepage. La hausse fixe et la queue de culasse sont décorées à l’eau forte de rinceaux. La partie inférieure du tonnerre est frappée du matricule « 3994 » et de l’année de production « 1840 ». Le canon est maintenu sur le fût par trois bracelets en argent gravés d’arabesques.
Les deux platines, de type « avant » à percussion sur capsule, et les chiens sont entièrement décorés à l’eau forte de rinceaux ; la platine gauche est signée « LEPAGE » et celle de droite « ARQer DU ROI ». L’intérieur de chaque platine est frappé du matricule « 3994 ».
La monture du type « Tufenk » ottoman est en noyer à fût long frappé à l’intérieur du matricule « 3994 ». Elle est entièrement incisée d’un décor d’arabesques. La crosse, de section pentagonale, est recouverte à la prise de main de velours (usures) fixé par des clous en argent. Le talon de crosse, en ébène uni, porte une plaque maintenue par cinq vis, qui est en argent entièrement gravé d’arabesques feuillagées et, en son centre, d’une palette de peintre avec pinceaux portant le monogramme « H V ». En actionnant un bouton poussoir latéral, cette palette se soulève et révèle une réserve pour charges de poudre. L’intérieur de cette porte est inscrit « de 20 à 25 ».
La queue de détente en bouton de type « Tufenk » actionne successivement la platine droite pour la charge avant, puis la platine gauche pour la charge arrière. La sous-garde est en acier entièrement gravé à l’eau forte d’arabesques et du monogramme « H V ».
Baguette en fer du type « Tufenk ».
Longueur totale de la carabine 102 cm.
Très bon état, usure du velours, fente au talon de crosse.
France.
Paris 1840.
Provenance :
Horace Vernet (1789-1863),
Joseph Vantini dit Youssouf (1808-1866), sans descendance,
Adèle Vantini-Weyer (1818-1902), épouse du précédent,
Gustave Weyer (1816-1908),
Félix Weyer (1853-1929),
Gérard Weyer (1889-1976),
Descendance de Gérard Weyer.
Jean André Prosper Henri Lepage (Paris 1792-1854 Vichy) était arquebusier et fourbisseur à Paris. De 1822 à 1842, il dirigea la Maison Lepage avec boutique au 13 rue de Richelieu. En 1835, il fut nommé Arquebusier ordinaire du Roi, du duc d’Orléans et du duc de Nemours. Il fournit successivement les rois Louis XVIII, Charles X et Louis-Philippe. Il développa la renommée internationale de la Maison Lepage en participant aux expositions de 1823, 1827, 1834 et 1839 où il reçut une médaille d’argent.
Horace Vernet : biographie
Émile Jean Horace Vernet, né le 30 juin 1789 à Paris où il est mort le 17 janvier 1863, est un peintre français.
Fils de Carle Vernet, petit-fils de Claude Joseph Vernet et de Jean-Michel Moreau, il suivit les traces de son père dans la peinture militaire dont il fit sa spécialité et où il se révéla un peintre brillant, mais superficiel. On lui doit des scènes de batailles, de sport, et des sujets orientaux. Une de ses filles épousa le peintre Paul Delaroche.
Peintre déjà célèbre en son temps, il fut directeur de l’Académie de France à Rome de 1829 à 1834. Il prit le premier daguerréotype du port de Marseille en 1839. Enrichi, il acquit en 1855 un domaine au lieu-dit « Les Bormettes », sur le territoire de la commune de La Londe-les-Maures, alors simple faubourg de Hyères, charmé par la beauté du site dont l’eau bleutée et les collines galbées lui rappelaient l’Algérie où il avait auparavant séjourné. Il s’y fit construire un vaste château médiéval composé de différents corps de bâtiments hétéroclites et de style divers.
Au début des années 1840, Vernet fit un voyage en Égypte en compagnie de son neveu Frédéric Goupil-Fesquet et de Gaspard-Pierre-Gustave Joly de Lotbinière, d'où les trois hommes rapportèrent parmi les premiers daguerréotypes d'Égypte, qui donnèrent lieu à un livre, les Excursions daguerriennes.
« Il était un homme d’esprit, caractère aimable, une nature droite, honnête, loyale, vive et sensée », écrit Sainte-Beuve.
À l’Exposition universelle de Paris de 1855, il occupa comme Ingres une salle entière et reçut la médaille d’honneur, ce qui le plaça en tête des peintres de son époque. Le peintre anglais Edwin Henry Landseer dit de lui : « Les tableaux de Vernet l’emportent sur ceux de tous ses rivaux car ils ne procèdent que de lui-même... » Au mois de décembre 1862, Napoléon III, apprenant la grave maladie de l’artiste, lui écrit : « Mon cher Monsieur Horace Vernet, je vous envoie la croix de Grand officier de la Légion d'honneur comme au grand peintre d'une grande époque... »
Fortune critique.
Charles Baudelaire : « M. Horace Vernet est un militaire qui fait de la peinture. — Je hais cet art improvisé au roulement du tambour, ces toiles badigeonnées au galop, cette peinture fabriquée à coups de pistolet, comme je hais l'armée, la force armée, et tout ce qui traîne des armes bruyantes dans un lieu pacifique. Cette immense popularité, qui ne durera d'ailleurs pas plus longtemps que la guerre, et qui diminuera à mesure que les peuples se feront d'autres joies, — cette popularité, dis-je, cette voxpopuli, vox Dei, est pour moi une oppression. » Curiosités esthétiques , Salon de 1846,Paris, Michel Lévy, 1868, p. 159.
Statue d'Horace Vernet à l'Hôtel de Ville de Paris
Son œuvre gravé complet est vendu aux enchères en 1861.
Le Massacre des Mamelouks de la Citadelle du Caire, 1819, signé H. Vernet daté 1819
Juda et Thamar, Salon de 1843, n° 1167 (Sujet tiré de la Genèse ch. XXXVIII), signé H. Vernet daté 1840 et localisé Malte, Londres, Wallace Collection,
Prise de la smalah d'Abd-el-Kader, la plus grande toile française au XIXe siècle.
Le Duc d'Orléans demandant l'hospitalité aux religieux du Petit Saint-Bernard (av.1819), musée Condé, Chantilly
Le Parlementaire et les Medjeles (1834), musée Condé
Leçon de violon du comte de Paris (1842), musée Condé
Portrait du duc d'Orléans (1819), musée Condé
Plafond du salon de la Paix du Palais Bourbon : la Paix entourée des génies de la vapeur sur terre et sur mer (1838-1847)
Vue d’Avignon, de la rive droite du Rhône, près de Villeneuve (1757), acquis par la société Axa pour 6,3 millions d'euros.
Caricature
Horace Vernet a dessiné une caricature représentant le roi Louis XVIII venant de déféquer, avec à ses pieds un étron, à ses côtés, un personnage s’apprêtant à torcher le royal postérieur. Annoté de la main de l’artiste : Le porte coton du Roi Louis Dixhuit fait par Horace Vernet chez nous le 20 décembre 1816. Le porte-coton était une fonction de laquais et désignait un employé au service des latrines. Ce dessin provenant de la collection du colonel Louis Bro, ami d’Horace Vernet, fut vendu aux enchères à Reims le 18 décembre 2005, n° 172 du catalogue où il est reproduit. Il a été offert à l’École nationale supérieure des beaux-arts, par une association.
Il avait pour élève Olivier Bro de Commères (1813-1874) qui fut officier de cavalerie en Algérie, à partir de 1833, et qui avait épousé Claire Lepage, fille du célèbre arquebusier parisien. Sur son épée d’académicien, Horace Vernet avait fait représenter une palette de peintre sur le clavier.
Louis Bro de Commère : biographie
Louis Bro est né à Paris le 17 août 1781. Il est fils de Jean-Louis Bro, un notaire parisien qui va très tôt lui conseiller de se rapprocher de la famille Bonaparte et de suivre une carrière militaire afin de s’assurer un avenir brillant.
En 1798, Louis Bro échoue au concours d’entrée de l’École polytechnique et décide de s’embarquer à Toulon pour rejoindre l'expédition d'Égypte mais les croisières anglaises le forcent à rentrer.
Le 20 octobre 1801, il se fait enrôler en tant que soldat volontaire à la caserne de Rennes dans le 1er régiment de hussards. Après un casernement à Brest à partir du 6 novembre et à Belle-Isle-en-Terre à partir du 14 décembre, il débarque à Hispaniola le 4 février 1802 où il fait partie du détachement formant la garde du général Leclerc, commandant de l'armée expéditionnaire de Saint-Domingue. Louis Bro est blessé à l'affaire du Haut-Cap et nommé sous-lieutenant le 12 thermidor an X (31 juillet 1802).
Renvoyé en France par suite de blessures graves, il débarque à Bordeaux le 6 juillet 1803 et devient aide de camp du général Augereau qu'il suivra dans toutes les campagnes, de 1803 à 1807. Il est promu lieutenant le 20 octobre 1804.
Après la bataille d'Eylau, il est nommé capitaine au 7e régiment de Hussards. A partir du 21 juin 1807, il séjourne à Tilsitt en Westphalie (Allemagne). Après l'été 1809, il est nommé aide de camp du général Colbert le 28 septembre et participe aux batailles de Friedland et de Wagram (où il fut grièvement blessé). Il quitte l'Allemagne cette même année.
En tant que membre de la commission de recrutement à Bruxelles, Louis Bro passe en Hollande le 5 septembre 1810.
Le 6 décembre 1811, il devient chef d'escadron des hussards. Cette même année, il est anobli par lettres patentes du 31 octobre 1811 et devient chevalier d'Empire.
Le 7 février 1812, il retourne à Magdebourg en Allemagne et se marie le 14 avril avec Laure de Comères (1788-1845) dont la famille est originaire de Toulouse. Un fils naîtra de cette union : Olivier Bro de Comères.
Cette même année Louis Bro passe aux chasseurs à cheval de la Garde et effectue avec elle la campagne de Russie. En 1813, il participe à la campagne d'Allemagne puis, par permission, il rentre à Paris le 20 mars et est nommé major le 28 juin suivant.
Le Chevalier Bro se distingue en 1814 à la bataille de Montereau où il reçoit la croix d'officier de la Légion d'honneur. En avril, il est promu au grade d'adjudant-commandant, avec rang de colonel.
Durant les Cent-Jours, le 1er septembre 1814, le chevalier est mis en position de non activité.
Le 17 avril 1815, il prend en tant que colonel le commandement du 4e régiment de chevau-légers lanciers de la Garde impériale (anciennement 9e dragons) à Aire-sur-le-Lys.
À la bataille de Waterloo sous les ordres du général de brigade Gobrecht, il effectue une charge restée célèbre. En effet, il écrase la brigade Ponsonby, entraine la mort (que Charles Mullié lui attribue) du Major-General Sir William de Ponsonby qui la dirigeait et reprend l'aigle du 55e régiment d'infanterie enlevée par les dragons de Ponsonby. Le colonel Bro qui fit des prodiges de valeur dans cette affaire y fut grièvement blessé.
En mars 1813, il retourne à Paris.
Le 22 juillet 1813, sous la Restauration, il est déchu de son grade de colonel et est mis en demi-solde. Après cinq ans en disponibilité, il reprend du service et passe commandant en second de la 2e légion de la garde nationale parisienne.
En 1816, Louis Bro et sa famille habitent au 23 rue des Martyrs (Paris). C'est à cette époque qu'ils accueillent comme locataire dans un pavillon voisin leur ami Théodore Géricault. La famille a aussi à cette époque comme voisin et ami l'artiste Horace Vernet dont l'atelier est à cette époque lieu de rendez-vous des bonapartistes.
Le chevalier s’y lie avec de nombreuses personnalités comme le chansonnier Béranger, le maréchal Clausel, le Baron de Marbot et le général de Lamoricière. Il était également cousin par sa femme de la famille Arnault et des Lawoëstine (protégés des ducs d'Orléans et de Nemours). Louis Bro participe aux Trois Glorieuses de 1830 et rejoint l'armée, par l'intermédiaire du général Gérard (arrivé sous peu au ministère de la Guerre), en qualité de colonel de la 2e légion de la garde nationale parisienne le 26 juillet. Le 6 août, il devient colonel du 1er régiment de Lanciers de Nemours et effectue ainsi la campagne de Belgique (1831-1832).
Nommé maréchal de camp le 11 octobre 1832, le colonel est désigné pour l'Algérie au commandement des 13e et 67e régiments d'infanterie de ligne. Il quitte Toulon le 3 mars 1833 et arrive à Douïre le 17 juillet 1834. Le 1er septembre, il se trouve à Boufarik, comme second du général de Lamoricière. Il participe à la répression des Hadjoutes en janvier 1835 et va en reconnaissance sur le front sud d’Alger (février - mars 1835). À cette période, il est en contact avec les grands chefs français : Rapatel, Trézel et Lamoricière. Le colonel Bro rentre à Alger le 15 avril 1835 et part en permission en France de juillet à novembre. Le 24 décembre 1837, il reçoit à Boufarik, à la fin de la campagne d'Algérie, la plaque de grand officier de la Légion d'honneur.
Après un retour définitif en France le 6 août 1838 il séjourne à Montpellier avant d'entrer en politique. Le 15 septembre 1839, il prend le commandement du département de l'Hérault, le 16 juillet, celui de la Dordogne et le 17 mars 1840, le chevalier est nommé inspecteur de cavalerie à Lille, sous les ordres du général-comte Corbineau. Nommé lieutenant général en 1843, il meurt à Armentières le 8 octobre 1844 à l'âge de 63 ans.
Cet officier supérieur qui fit ses premières armes dans la révolution française, marqua les campagnes napoléoniennes et les expéditions de la restauration par son courage. Durant sa vie, il entretint une importante correspondance qui fut déposée aux Archives nationales par le baron Christian Bro de Comères en 1950. Le fonds Bro de Comères fut accru en 1963 d’un complément : il est aujourd'hui constitué par des documents englobant tout le XIXe siècle.
Famille Proche & Descendants
Louis Bro est le fils cadet de Jean Louis Bro (1733-18 avril 1804) et de Francine-Angélique Pelletier (29 novembre 1742-14 janvier 1804, Paris). Jean Louis Bro était écuyer, conseiller du roi et notaire au Châtelet de Paris (Étude XCII, 1798-1799) et à la rue des Martyrs.
Louis se marie le 14 avril 1812 avec Laure de Comères, née en 1788 et décédée en 1845 à l'âge de 57 ans. Elle avait un demi frère, Alfred de Sevelinges qui fit carrière sous la Monarchie de Juillet et le Second Empire. Resté célibataire, ce sont ses neveux qui récupérèrent ses papiers personnels et militaires. On connait peu de choses de la vie de Laure.
La famille de Comères était originaire de Toulouse en qualité de Baron, la famille ayant eu deux ancêtres Capitoul.
En 1813, le ménage donne naissance à un fils : Olivier Bro de Comères (19 décembre 1813 ; 30 novembre 1874). Comme son père, celui-ci décide de suivre une carrière militaire et est engagé le 19 décembre 1830. Le 7 avril 1833, il devient Sous-lieutenant au 2e régiment de chasseurs d'Afrique et rejoint en 1833 son père en Algérie au 1er régiment de chasseurs. A partir du 5 juin 1834, il jouit de la protection du maréchal Clauzel et du général Rapatel. Le 29 octobre 1840, il est affecté au 7e hussards. Officier d’ordonnance du roi, il devient colonel en 1854 et officier à l’état-major du général Trochu lors du siège de Paris en 1870. Élève d’Horace Vernet, ami de ses parents, il s'adonne à l'art en reproduisant des scènes et des vues d’Afrique et en brossant des silhouettes de son temps. Olivier Bro de Comères se marie avec Claire Lepage (27 septembre 1817 ; 27 janvier 1908), fille de Jean André Prosper Henry Le Page. Les Lepage étaient des grands armuriers de Paris aux XVIIIe et XIXe siècle. Ils furent les fournisseurs du duc d’Orléans, de l’empereur Napoléon Ier et de Louis XVIII. Cette notoriété valut aux Lepage un pillage d’armes par la foule pendant les journées de juillet 1830, mais elle leur a permis de faire partie des experts officiels aussi bien dans l’affaire Fieschi que dans le procès du débarquement de Louis-Napoléon Bonaparte à Boulogne. C'est la maison Fauré Le Page qui perpétue l'héritage de cette famille d'arquebusiers.
Claire Lepage donne deux enfants à Olivier :
Henriette Laure Marie Bro de Comères (13 août 1851 ; 23 janvier 1944), mariée avec Charles Aylies (prononcé "hélice") (1845 ; 1926), préfet de Lot-et-Garonne, membre de l'Académie d'agriculture et chevalier de la Légion d'honneur.
Henri Bro de Comères, marié avec Mlle Zentz d'Alnois, fille d’Édouard Zentz d'Alnois (1827 ; 1900), propriétaire du château de Boury, et nièce de Louis Adolphe Zentz d'Alnois (1820 ; 1911), général français. Henri et sa femme eurent quatre enfants.
Joseph Vantini dit Youssouf : biographie
Origines et jeunesse
Il n’a conservé aucun souvenir de sa famille, il se rappela seulement d’avoir vu Napoléon Ier en 1814. Vers cette époque, il fut embarqué pour Florence où on l’envoyait faire ses études; mais le navire qui le portait ayant été capturé par un corsaire barbaresque (source manquante), Youssouf, conduit à Tunis, échut en partage au Bey. Devenu musulman, et placé dans le sérail, il ne tarda pas à se concilier l’affection de ses maîtres. Il apprit en peu de temps le turc, l’arabe, l’espagnol, gagna, par son adresse dans tous les exercices militaires, l’amitié du Bey.
Mais engagé dans une intrigue avec une des filles du Prince, et surpris un jour, dans un de ses rendez-vous, par un gardien, il conçut aussitôt l’audacieuse résolution de le suivre dans les jardins et de s’en défaire ; il jeta le corps dans une piscine profonde, n’en conservant que la tête, et le lendemain, pendant que la jeune princesse l’entretenait des vives terreurs auxquelles elle était en proie, il la conduisit, pour toute réponse, dans la chambre voisine, et lui montra, dans l’une des armoires, la tête de l’esclave dont il avait arraché la langue. Cependant cette aventure pouvant finir par s’ébruiter, il ne songea plus dès lors qu’à quitter Tunis, et prépara son évasion.
Au mois de mai 1830, il réussit à s'embarquer sur un brick français l’Adonis, à l’ancre dans la rade de Tunis avec l'ordre de rallier la flotte française à Alger.
Campagne de 1830 en Algérie.
Peu de jours après Youssouf débarque à Sidi-Ferruch.
Il est placé comme Interprète militaire auprès du commissaire général de police. Plusieurs missions auprès des chefs des diverses tribus éloignées, lui ouvrent la carrière des armes. Il est nommé capitaine dans le 1er régiment des chasseurs d'Afrique le 25 mai 1831, puis promu aux fonctions de lieutenant de l’Agha.
Désigné par le duc de Rovigo pour faire partie de l’expédition de Bône, il assiste le capitaine d’artillerie d’Armandy, et son rôle dans l'occupation de la citadelle lui vaut la croix de la Légion d'honneur. Il contribua plus tard à conserver cette conquête à la France.
Depuis huit jours, la poignée d’hommes à laquelle avait été confiée la défense de la ville, était enfermée dans la casbah : Youssouf, averti par un de ses gens que les Turcs avaient formé le complot de l’assassiner pendant la nuit, de massacrer les Français et de s’emparer du fort, va trouver le capitaine d’Armandy qui commandait la garnison, lui fait connaître l’imminence du danger, et lui déclare qu’il ne sait qu’un moyen d’y échapper. « II faut, que je sorte avec mes Turcs, ajoute-t-il. — Mais ils te tueront, répond l’officier français. — Que m’importe, répond Youssouf; j’aurai le temps d’en-clouer les pièces qui sont à la marine. Je succomberai, je le prévois, mais tu seras sauvé, et le drapeau français ne cessera pas de flotter sur Bône. »
À peine a-t-il prononcé ces mots qu’il sort, suivi de ses Turcs. La porte de la casbah est aussitôt murée derrière lui ; parvenu au bas de la ville, Youssouf s’arrête, et s’adressant à sa troupe : « Je sais, dit-il, qu’il y a parmi vous des traîtres qui ont résolu de se défaire de moi dans la nuit prochaine. Je les connais, qu’ils frappent d’avance ceux qui ne craindront pas de porter la main sur leur chef. » Puis se tournant vers l’un d’eux : « Toi, tu es du nombre, lui dit-il, et il l’étend mort à ses pieds. » — Cet acte de résolution déconcerte les conjurés ; ils tombent à ses genoux, et lui jurent une fidélité à laquelle ils n’ont pas manqué depuis.
Autres campagnes en Algérie
Youssouf se fit encore remarquer pendant les campagnes de 1832 et 1833, et fut nommé, le 7 avril 1833, chef d'escadron dans le corps des spahis réguliers du « colonel-agha » Marey.
À l’époque de l’expédition du maréchal Clausel sur Mascara, Youssouf arriva à Oran, après avoir traversé plus de vingt lieues de pays, accompagné seulement de quelques cavaliers; le maréchal lui confia alors le beylik de Constantine. Il fut nommé officier de la Légion d'honneur le 14 août 1835. Sa conduite distinguée en 1836 et 1837 lui valut, le 18 février 1838, le grade de lieutenant-colonel, et il fit, à la tête de son corps de Spahis, les campagnes de 1838 à 1841. Il a été nommé colonel de la cavalerie indigène d’Afrique le 19 mai 1842, et promu au grade de maréchal de camp après la bataille d'Isly. Le général Youssouf continua à se montrer glorieusement dans la lutte contre Abd el-Kader: lors de la prise de la smala d'Abd el-Kader par le duc d'Aumale (16 mai 1843), le premier échelon est composé des spahis et du goum, commandé par le colonel Yousouf ; le 23 décembre 1845, il battit l’émir à Tenda dans un combat de cavalerie. Le 13 mars 1846, il l’atteignit de nouveau, le battit, lui enleva tous ses bagages et fut sur le point de l’enlever lui-même.
La guerre de Crimée
En 1854, durant la guerre de Crimée, le général Youssouf forme en Bulgarie 6 régiments de Bachibouzouk qui furent licenciés au bout de 2 mois.
Le général Joseph Vantini dit Youssouf (ou Yusuf), né en 1808 à l’Île d'Elbe, qui était française depuis 1802, fut pris en 1815 par un corsaire tunisien, sur un bateau qui l’emmenait à Livourne pour y faire ses études. Ses qualités physiques et intellectuelles le firent choisir pour entrer dans la garde du bey, et il reçut à cet effet des leçons comportant la pratique du cheval et des armes ainsi que l’étude du Coran. Il eut alors l’occasion d’être le compagnon de jeux d’une fille du bey, la princesse Kaboura, sut plaire à l’enfant, si bien que plus tard, quand elle eût grandi et qu’il fût devenu mamelouk, une intrigue se noua entre eux. Comme, au début de 1830, il manifestait son enthousiasme pour le parti français qui s’était formé à Tunis, ses ennemis dévoilèrent cette intrigue, et il eût été assassiné, s’il n’avait été prévenu par la princesse ; aidé par les fils du consul de France, Ferdinand de Lesseps, il put fuir sur un bateau français.
Débarqué à Sidi-Ferruch le 16 juin 1830, deux jours après le gros de l’armée expéditionnaire, il fut attaché par Bourmont comme interprète à son état-major. Nommé khalifa (adjoint), de l’Agha des Arabes, il vendit pour une trentaine de mille francs les pierres précieuses des armes qu’il avait apportées de Tunis, équipa avec cet argent quelques cavaliers indigènes et fit avec eux des razzias fructueuses.
Dans l’expédition de Clauzel (Bertrand Clauzel) sur Médéa, Youssouf se conduisit admirablement ; il tua un chef turc qui l’avait blessé et lui prit son cheval, et se fit remarquer dans tous les combats. Clauzel (Bertrand Clauzel), qui venait de créer un escadron de chasseurs algériens, y fit engager Youssouf et le nomma, le 2 décembre 1830, capitaine indigène à titre provisoire, grade qui fut confirmé quelques mois plus tard. Dès lors, dans toutes les expéditions, Youssouf se montra si plein d’audace, d’initiative et d’endurance, qu’il devint rapidement légendaire dans l’armée d’Afrique. Lorsqu’il rentrait dans les camps avec ses cavaliers, « ses enfants » comme il les appelait, il était acclamé par les troupes françaises.
Sa réputation le fit désigner, au début de 1832 pour aller occuper, avec le capitaine d’Armandy, la Kasbah de Bône ; il y risqua sa vie dans des conditions qui lui valurent une véritable célébrité, par son sang-froid et son énergie dans des circonstances tragiques, au point que le maréchal Soult (Nicolas Jean-de-Dieu Soult) qualifia cet exploit, dans un discours à la Chambre, de « plus beau fait d’armes du siècle ». Chargé ensuite de petites opérations autour de Bône, il y accomplit maintes prouesses qui lui valurent quatre citations à l’ordre de l’armée, la croix de la Légion d'honneur et le grade de chef d’escadron du 3e Chasseurs d’Afrique.
Lorsqu’en 1835. Clauzel (Bertrand Clauzel) fit l’expédition de Mascara (Algérie), il appela Youssouf à son état-major, et fut séduit aussitôt par ses qualités : « Youssouf, écrivit-il au Ministre, est un homme des plus intrépides et des plus intelligents que je connaisse. Il est venu me joindre près de Mascara (Algérie), après avoir traversé trente-cinq lieues de pays au milieu des Arabes qui nous suivaient pour nous combattre. »
Clauzel (Bertrand Clauzel) l’emmèna avec lui à l’expédition de Tlemcen, et lui donna une nouvelle occasion de s’illustrer le 15 janvier 1836, à l’attaque du camp d’Abd_El-Kader. Youssouf, à la tête d’une cinquantaine de cavaliers Douairs et Smela, chargea les cavaliers ennemis avec une fougue incroyable. Monté sur un excellent cheval, il s’attacha à la poursuite Qu’Abd_El-Kader et crut à plusieurs reprises qu’il allait l’atteindre. Cette course effrénée dura 25 kilomètres ! Yusuf se trouvait seul en avant de tous les siens, grâce à la vitesse de son cheval. En vain l’Emir criait-il à ses gens : « Lâches, retournez-vous et voyez : il n’y a qu’un homme qui vous poursuive. » La frayeur l’emportait sur la voix du chef, et la fuite contiuait. Le cheval d’Abd_El-Kader était meilleur encore que celui de Youssouf et le mit finalement hors d’atteinte.
Les succès remportés par Clauzel (Bertrand Clauzel) dans la province d’Oran lui permettant de penser à l’Expédition de Constantine de 1836, c’est Youssouf qu’il considéra comme l’homme capable de l’aider puissamment dans cette tâche. A cet effet, il le nomma, dès le mois, de janvier 1836, bey de Constantine, comptant sur l’habileté du jeune chef d’escadrons, qui connaissait si bien le caractère indigène, pour aplanir nombre de difficultés et lui ouvrir la voie. Youssouf avait à sa disposition les spahis réguliers et auxiliaires, était autorisé à lever un corps de 1.000 Turcs ou Arabes ; il devait, pour préparer les voies, gagner progressivement à sa cause les tribus entre Bône et Constantine (Algérie). C’était une excellente méthode, qui depuis lors a fait ses preuves.
Des le mois d’avril 1836, Youssouf s’établit au camp de Dréan, recevant comme nouveau bey la soumission de nombreuses tribus, et allant châtier celles qui ne reconnaissaient pas son autorité. Il commandait en chef indigène, à la manière d’Abd_El-Kader, faisant trancher la tête après un jugement sommaire à son secrétaire convaincu de trahison, razziant sans pitié les agglomérations qui lui restaient hostiles. Clauzel (Bertrand Clauzel) était en France, cherchant à obtenir des renforts qui lui furent refusés ; parti trop tard en novembre, il arriva cependant sans combat devant Constantine (Algérie), grâce à l’habile préparation politique de Youssouf, qui le précédait à l’avant-garde avec ses Turcs et ses Indigènes (Indigénat) ; mais il fut vaincu par le mauvais temps et l’insuffisance des munitions.
Youssouf porta en partie le poids et cet échec, et fut accusé d’ambition, de cupidité et de cruauté. Il reprit cependant ses fonctions de bey au camp de Dréan, avec la même mission, car Clauzel (Bertrand Clauzel) comptait bien renouveler l’expédition. La nomination de Damrémont comme gouverneur militaire modifia sa situation, et le fit revenir comme chef d’escadron aux spahis réguliers de Bône. Youssouf, plein d’amertume, fit un voyage en France ; mais il eut vite constaté que les calomnies n’avaient en rien diminué son prestige ; fêté partout, il fut même nommé lieutenant-colonel avant de revenir en Algérie, en février 1838, prendre le commancernent des spahis réguliers d’Oran.
Quoique Musulman, Youssouf « tenait à reprendre la nationalité française, dans laquelle il était né, et il reçut cette qualité en 1839, tout en restant dans les cadres de l’armée au titre indigène. Apprécié par Bugeaud Thomas-Robert Bugeaud comme par ses chefs précédents, il fut proposé pour colonel par cet illustre général en avril 1842, dans des termes qui le dépeignent mieux encore que ses nombreuses citations à l’ordre : « L’éloge du lieutenant-colonel Youssouf, écrivait Bugeaud Thomas-Robert Bugeaud au Ministre, est dans toutes les bouches. Il n’est pas un officier, pas un soldat de la province d’Oran qui ne l’admire ! Jamais on n’a montré plus d’élan, plus d’activité dans l’esprit et dans le corps... Youssouf est un officier de cavalerie légère comme on en trouve bien peu. Aussi désirai-je vivement qu’il soit fait colonel, commandant tous les spahis d’Algérie. Il saura donner à tous les habitudes, l’esprit et l’élan guerriers qui ont si fort distingué les escadrons (Escadron) de Mascara (Algérie) , auxquels on doit une grande partie des succès obtenus. » Cette proposition, valut presque aussitôt à Youssouf le grade de colonel et le commandement des spahis d’Algérie. On comprend l’autorité que ce chef à la belle prestance, au passé chargé de gloire, avait sur les Indigènes (Indigénat), si admirateurs des qualités physiques et de la bravoure personnelle. Youssouf ne devait pas néanmoins se confiner dans la direction générale des vingt escadrons (Escadron) placés sous ses ordres. C’est à cheval, entraînant sa troupe à la poursuite d’Abd_El-Kader ou de ses partisans, que ce soldat se sentait à sa place.
Dans l’expédition du duc d’Aumale (Henri d'Orléans (1822-1897)) contre la Smala, Youssouf, toujours à l’avant garde avec ses spahis, éclairait la colonne ; s’apercevant que sa marche était signalée par des indigènes (Indigénat) qui allumaient des feux, il décida de faire un exemple, parvint à en surprendre quelques-uns et les fit exécuter, sur le champ. Le procédé était cruel, mais produisit son effet ; les signaux lumineux cessèrent, ce qui permit de surprendre la Smala. Lorsque, le 16 mai 1843, les auxiliaires indigènes aperçurent les premiers l’immense agglomération que formait la Smala, une sorte de conseil se tint autour du duc d’Aumale (Henri d'Orléans (1822-1897)) ; le colonel Youssouf avait avec lui, trois escadrons de spahis et les trois escadrons de chasseurs d’Afrique du lieutenant-colonel Morris : « Eh bien ! messieurs, en avant ! », conclut le duc d’Aumale (Henri d'Orléans (1822-1897)). Bientôt les spahis au burnous rouge partirent au galop. La surprise fut telle que les femmes, les prenant pour des cavaliers réguliers de l’Emir, poussèrent des you-yous afin de célébrer leur retour. Cette joie se transforma en stupeur lorsque les premiers coups de feu éclatèrent ; un cri lugubre se propagea : « Er Roumi, er Roumi ! » (les colons sont appelés roumis par les autochtones) Youssouf avec ses spahis se précipita sur le douar d’Abd_El-Kader, tandis que le duc d’Aumale (Henri d'Orléans (1822-1897)) avec l’intrépide Morris abordait la Smala de flanc. La panique saisit la foule indigène (Indigénat) et provoqua un sauve-qui-peut général, si bien que les troupes françaises s’emparèrent de milliers de prisonniers et d’un immense butin, en n’éprouvant que fort peu de pertes. Youssouf fit dresser pendant la nuit, devant la tente du duc d’Aumale (Henri d'Orléans (1822-1897)), la tente d’Abd_El-Kader, et la fit entourer des drapeaux, des armes et des plus beaux trophées enlevés à l’ennemi, pour donner au jeune prince un joyeux réveil. Il fut cité, dans le rapport rédigé par le duc d’Aumale (Henri d'Orléans (1822-1897)), pour « son brillant courage et son intelligence militaire. »
Le duc d’Aumale (Henri d'Orléans (1822-1897)) étant parti pour la France, Youssouf exécuta avec un plein succès diverses opérations contre les tribus de la province d’Alger. Mais c’est surtout en 1844, lors de la campagne contre le Maroc, qu’il trouva de nouvelles occasions de donner sa mesure. A la Bataille de l’Isly, il commanda le premier échelon de la charge de cavalerie, formé de six escadrons de spahis, et, malgré le feu de onze pièces de canon marocaines, aborda le camp du fils du Sultan, sabra les servants et s’empara des pièces. Entré dans cet immense camp, il fut arrêté un moment par des cavaliers et des fantassins lui opposant une farouche défense individuelle ; mais, grâce à l’approche de trois escadrons de chasseurs, il put repartir de l’avant ; il poursuivit les Marocains en retraite jusqu’à plusieurs kilomètres du camp. Les quatre officiers tués dans cette journée étaient quatre officiers de spahis. Youssouf mérita, à cette occasion, sa dix-septième citation !
Un événement romanesque devait encore une fois se produire dans sa vie ; étant allé en France accompagné du maréchal des logis Weyer, son secrétaire, il s’éprit de la sœur du jeune sous-officier, la demanda en mariage, renonça à la religion musulmane (Islam) et l’épousa. Revenu avec sa femme en Algérie, il reçut en juillet 1845 le grade de maréchal de camp à titre indigène (Indigénat) et le commandement d’une brigade de vingt escadrons de spahis, en trois régiments. C’est dans la période qui s’ouvre en septembre 1845, par le fameux combat de Sidi Brahim, et qui marque l’effort suprême d’Abd_El-Kader, que Youssouf allait se surpasser. Chargé par Bugeaud Thomas-Robert Bugeaud du commandement de colonnes mobiles successives, il poursuivit, avec une inlassable activité, Abd_El-Kader et les, tribus qui avaient pris son parti. Il eut l’occasion a cette époque de démontrer souvent l’excellence de ses principes de guerre africaine, si différents de ceux de la guerre européenne. En décembre 1845, Abd_El-Kader fuyait devant lui en deux colonnes, l’une formée de ses cavaliers, l’autre de ses bagages et troupeaux ; ce fut non la première, mais la seconde qu’il poursuivit, certain d’obliger ainsi son adversaire à venir défendre son bien. Le combat eut lieu à l’oued Temda : Abd_El-Kader eut son cheval tué sous lui, s’échappa à grand’peine grâce au dévouement des siens, et laissa entre les mains de Youssouf ses morts, ses blessés et ses bagages.
La cavalerie de Youssouf, rentrée à Alger exténuée par trois mois de dure campagne dans des pays difficiles, repartit à la fin de février 1846, mais pour le Sud, c’est-à-dire pour des régions plus favorables à son action. Le 12 mars, Youssouf découvrit les traces d’Abd_El-Kader ; alors ce fut une poursuite, sans répit, qui dura pendant plus de 20 kilomètres, dans la région de Bou-Saâda, et qui fit tomber entre ses mains plusieurs drapeaux, des prisonniers, des tentes et un convoi de 800 mulets. Abd_El-Kader serré de près à plusieurs reprises avec 14 de ses cavaliers, par plusieurs officiers français qui avaient de bons chevaux, dut encore une fois son salut à la qualité supérieure de son cheval. Si Youssouf épuisait ses chevaux, il pouvait les remplacer, tandis que l’Emir ne pouvait pas : Bugeaud Thomas-Robert Bugeaud écrivait le 31 mai à Léon Roches que les éclaireurs de Yusuf avaient suivi Abd_El-Kader en fuite vers le sud-ouest et qu’ils l’avaient vu réduit à « environ 150 cavaliers, éparpillés sur la route, les uns démontés, les autres traînant leurs chevaux par la figure, d’autres montés sur des haridelles (mauvais chevaux) maigres et blessées. » Youssouf avait conquis l’estime et l’affection de Bugeaud Thomas-Robert Bugeaud, qui le considérait comme un magnifique cavalier, et l’appelait le « Murat (Joachim Murat) de l’armée d’Afrique». Après le départ pour la France de l’illustre Maréchal, il n’eut plus guère l’occasion de chevauchées, car Abd_El-Kader s’était réfugié au Maroc et fut bientôt amené à se rendre : l’ère glorieuse était close. Nommé inspecteur général permanent de la cavalerie indigène (Indigénat), il eût voulu, par-dessus tout, être admis dans le cadre des généraux français ; malgré ses efforts et ceux de ses amis et malgré l’appui de Bugeaud Thomas-Robert Bugeaud lui-même, il ne pouvait y parvenir.
Le livre qu’il publia en 1851 « De la guerre en Afrique » témoigne du moins de son activité dans un nouveau domaine. Les principes qu’il y exposait ont servi de bases aux règlements spéciaux si nécessaires à l’Armée d’Afrique. Aux conseils militaires pratiques, il ajoutait des pages d’une portée plus haute, celles par exemple où il indiquait le rôle de l’officier des bureaux arabes : « La France veut coloniser, écrivait-il ; elle appelle de ses vœux le moment où la charrue pourraient ouvrir ce nouveau sol, où les baïonnettes ne seront plus que protectrices, et où le colon n’aura plus à craindre de voir surgir un ennemi derrière chaque buisson. Dès ce jour (puisse-t-il bientôt luire), l’officier des bureaux arabes verra encore, s’agrandir sa mission : il sera, plus que jamais l’homme nécessaire, le trait d’union indispensable ; pendant de longues années, il sera appelé, sur les zones de l’intérieur, à diriger, surveiller, protéger la colonisation qui aura franchi le Sahel, et se sera aventuré presque jusqu’au désert. » Enfin Youssouf obtint en décembre 1851 la récompense qu’il souhaitait ardemment, l’admission dans le cadre des généraux français ; le Président de la République, Louis-Napoléon (Napoléon III), lui écrivit à ce sujet : « Il était juste que la France adoptât celui qui, depuis de longues années, la défend en Algérie avec tant de courage et de dévouement. »
Nommé au commandement de la subdivision de Médéa, Youssouf mena en 1852 une colonne contre Laghouat ; il eut bien voulu attaquer seul, mais il n’avait que 1.500 hommes, et dut se résigner à attendre la colonne du général Pélissier (Aimable Pélissier), venant de la province d’Oran. Pélissier (Aimable Pélissier) fit enlever brillamment l’oasis, mais n’oublia pas de citer Youssouf, qui fut fait grand officier de la Légion d'honneur.
Après un court séjour en 1854 en Crimée (Guerre de Crimée), où il organisa un corps de 3.000 « bachi-bouzouks » (Bachi-bouzouk), qui fut largement diminué par le choléra dans la Dobrudja, puis licencié, Youssouf revint en Algérie. il fut promu général de division, et dirigea, d’après les ordres du général Randon, des colonnes qui participèrent de la façon la plus efficace, en 1856 et 1857, à la soumission définitive de la Kabylie. En 1859, à l’expédition conduite par le général de Martimprey contre la tribu marocaine des Beni-Snassen, il montra, pendant l’épidémie de choléra qui décima ses troupes, une humanité, un courage et une abnégation admirables. Il fut nommé en 1860 grand’croix de la Légion d'honneur par Napoléon III. La grande expérience que Youssouf avait du Sahara et des indigènes (Indigénat) lui permit de rendre, pendant l’insurrection de 1864, des services importants dans le Sud des provinces d’Alger et d’Oran. Cependant, le maréchal de Mac-Mahon (Patrice de Mac-Mahon), nommé gouverneur général de l’Algérie, lui déclara au début de 1865 qu’avec de nouveaux systèmes, il fallait des hommes nouveaux ».
Youssouf demanda la division de Montpellier, mais il tomba gravement malade et alla mourir à Cannes le 16 mars 1866. Dans son agonie, ce merveilleux soldat se revoyait au milieu de ses compagnons des charges d’autrefois, à un moment il se leva sur son séant, étendit les mains en avant comme s’il tenait les rênes de son cheval, et demanda en arabe : « Agha Sliman, qui est autour de moi ? » Dernière évocation de toute une vie héroïque au service de la France.
Youssouf est le seul chef qui ait participé de bout en bout à la Conquête de l'Algérie, depuis le débarquement à Sidi-Ferruch en juin 1830, jusqu’à la soumission de la Kabylie en 1857, sans parler de l’expédition du Maroc et de l’insurrection de 1864. Il a été comblé de gloire et d’honneurs. Cependant il s’est attiré de nombreuses inimitiés, dues autant à des jalousies inévitables qu’à l’incompréhension de sa mentalité. Youssouf, quoique redevenu Français, conserva toujours le caractère et la tournure d’esprit d’un Musulman de l’Afrique du Nord. Ses jugements sommaires, après lesquels il faisait trancher des têtes, ses procédés d’administration, n’ayant souvent rien de commun avec ceux de la bureaucratie officielle, l’ont fait critiquer beaucoup plus qu’il n’eût convenu. Pour juger un homme, Il faut se représenter les conditions et le milieu dans lequel il agit. Il vécut à l’époque héroïque de la conquête, qui ne ressembla en rien à la période suivante : superbe cavalier, habile sabreur, vigoureux entraîneur d’hommes, il était fait pour les chevauchées téméraires, les mêlées ardentes et les entreprises audacieuses. Il était adoré des troupes indigènes, et longtemps encore, dans les villages et dans les douars d’Algérie, les descendants des spahis qu’il a si brillamment commandés raconteront des épisodes du temps où leur aïeul servait avec Youssouf.
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