Grande Armée, Campagne de Pologne. LETTRE DU SOUS-LIEUTENANT MABOUREY, 100ème de ligne, datée du 18 juin 1807, À SON FRÈRE demeurant à Champlitte (Haute-Saône).
Lettre avec adresse « Monsieur Nancey, dit Dodo, à Champlitte département de la Haute-Saône à Champlitte », avec marquage postal militaire « N° 18 GRANDE ARMÉE ».
Très belle et longue lettre descriptive des combats et de la vie en Pologne.
« Grande Armée 5ème Corps Division Gazan » le 18 juin 1807
à Monsieur Nancey à Champlitte.
« Mon cher frère et ami, je profite d'un moment que j'ai à moi pour m'entretenir avec vous parce que j'ai de bonnes nouvelles à vous apprendre.
Vous savez que depuis 9 mois l'armée était dans une stagnation qui étonnait tout le monde, messieurs les russes croyant nous prendre au dépourvu le 11 courant attaquèrent le 6ème Corps (Maréchal Ney), ce corps fut assez mal traité et fit un petit mouvement rétrograde en bien bon ordre, c'était une amorce pour l'ennemi car le 14 il y eu une affaire très chaude à Friedland, 25.000 hommes russes restèrent sur le champ de bataille, tués ou blessés, plusieurs généraux marquant, 200 pièces de canon. Enfin la prise de Koenikberg, capitale de l'ancienne Prusse, où ces messieurs ne purent s'arrêter malgré les immenses travaux qu'ils y avaient établis, nous y avons trouvé des magasins considérables en tout genre, voilà seulement le résultat de cette journée ; et depuis, Monseigneur le Grand Duc de Berg, à la tête de toute la cavalerie est à leur poursuite ; et je suis sûr qu'il ne les laissera pas dormir avant de les avoir jetés au-delà de Niemen (fleuve) qui sépare les états prussiens de la Russie ; je ne crois pas ces messieurs capables de parer une botte pareille à celle-là, et je crois que cette affaire pourra nous amener quelque chose d'agréable. Il faut espérer qu'ils se rassasieront d'être battus. Je sais bien sûr que les gazettes vous feront un détail de ce que je viens de vous dire mais comme très souvent, avec raison. On y ajoute pas grand foi, j'ai cru devoir vous rendre une vérité aussi intéressante, il est inutile que je vous dise que cette victoire est due au génie unique qui nous commande : Notre Sublime Empereur et Roy ».
Le corps d'armée où se trouve mon ami Robles était à ce que je crois de la noce ; je crains qu'il ne lui soit arrivé quelque chose de désagréable, mais je le saurai bientôt.
Le soldat consacre la suite de sa lettre à une description détaillée de la Pologne et de ses habitants :
« Dans la dernière lettre que vous me fîtes l'honneur de m'adresser, vous me faites des questions auxquelles je ne suis pas en état de vous répondre, du moins la majeure partie : vous savez que les études que l'on fait faire aux enfants dans le pays où je suis né, surtout aux gens de mon premier Etat, sont très maigres.
Par exemple, ce que produit le pays, du grain surtout et beaucoup de bétail, des métaux je n'en connais point. D'ailleurs les polonais sont trop peu industrieux pour travailler à des choses aussi utiles ; les villes, excepté la capitale Varsovie, ressemblent à de pauvres villages, Villemberg où je suis resté quelques temps ressemble beaucoup à Margilley ou Montarlot, ainsi jugez ce que sont les villes de Pologne, maisons très mal bâties et toutes en bois, remplies de punaises et tout autre chose semblable. Vous n'y voyez rien de bien fini, tout à la serpe, la menuiserie et la serrurerie, rien de tout cela, les ponts sur les rivières sont aussi en bois de sapin, les arbres jetés à côté l'un de l'autre sans autre formalité.
Ils cultivent les terres comme chez nous à peu près et récoltent dans la même saison, je vois autour de moi de bien mauvais seigles, ils sont aussi avancés qu'ils peuvent l'être chez nous, leur engrais est le même que dans tout autre pays, le fumier de leurs vaches et moutons ; ils récoltent aussi du lin et du chanvre, de quoi ils sont vêtus l'été, et l'hiver avec la laine de leurs moutons, c'est à dire le peuple, les serfs, car les gentilhommes qui ne sont pas militaires sont couverts de pelleterie qu'ils tirent du nord, beaucoup de Russie.
Le vin est très cher à Varsovie, mais cependant pas bien rare, il en tire de la Hongrie et d'autres pays plus éloignés, de la bière. On brasse partout avec la permission du seigneur du village qui est souverain dans sa petite communauté. Les (villages ?) se vendent par tête d'habitants comme les boeufs à Champlitte, ils mangent et boivent comme nous, aux heures convenues.
Leur gouvernement, vous savez sûrement que sous le règne de Frédérick le Grand, la Pologne fut partagée, dont un tiers à la Prusse, l'autre à la Russie et l'autre à l'Autriche et chacun est sous les lois de son souverain. Les femmes y sont sans pudeur, quand à leur langage je ne m'y attache pas du tout si ce n'est pour les choses de première nécessité. D'ailleurs tous les gentilhommes parlent français, ou du moins la majeure partie.
C'est assez barbouillé pour ce moment-ci, à une autre fois, je vous embrasse de tout mon coeur ainsi que Madame votre épouse et toute la petite famille.
J'attends sous peu des nouvelles de Claudette, dites-lui je vous prie que je me porte bien et que je l'embrasse ainsi que maman »
Marbourey.
23 x 18,5 cm. 3 pages d'écriture.
Bon état, rousseurs, une déchirure en page 3 sans manque de texte.
Référence :
18867-29