Armée du Rhin. LETTRE DU SOLDAT DELACHASSE (ou Decachasse) À SON PÈRE, datée de Dellingen, rive gauche du Danube, 21 juin 1800.
Lettre avec vignette ARMÉE DU RHIN / Liberté égalité, au Quartier-général à Dellingen sur la rive gauche du Danuble le 3 messidor l'an 8 de la République française, une et indivisible.
Beau récit documenté sur le passage du Danube le 19 juin 1800.
Orthographe rétablie.
« Je viens de visiter mon cher frère dans son cantonnement qui est à une lieue d'ici, mon ami Papa. Son régiment a enfin rejoint l'armée. Il a fait sa route très heureusement et se trouve parfaitement content. Il faut suivre son inclination. Il se lassera bientôt du métier de hussard et j'espère pouvoir le tirer de là quand il le désirera. Il est aimé et estimé de ses camarades, craint de ses subalternes. Il commande une compagnie et la conduit en maître. Il vient de faire un coup de vigueur qui a produit un très bon effet pour lui et pour son corps. Un hussard insubordonné après avoir soulevé la compagnie, à laquelle il tenait, contre les officiers, désobéit formellement à mon frère et tira son sabre contre lui. La compagnie, qui n'est pas celle qu'il commande, fait aussi le mouvement de tirer le sabre. Il fond sur le révolté le sabre à la main et le lui pose au travers du corps et le tue, il revient de même sur la compagnie qui rentre bientôt dans l'ordre. J'ai cru d'abord que ce pouvait être un coup de mauvaise tête mais les chefs l'ont approuvé. Il est ce qui s'appelle d'aplomb et fera bien son chemin je vous en répond. Soyez d'ailleurs persuadé que nous entendons bien ce qui peut lui être le plus avantageux. Le général Moreau * l'a parfaitement reçu. Son régiment fait partie du corps du général Lecourbe ** qui est le favori de la fortune. Ce général vient d'avoir une bien brillante affaire qui nous donne des résultats des plus avantageux.
Le général en chef las de tâtonner ainsi depuis si longtemps devant Ulm et d'ailleurs extraordinairement inquiet sur ses derrières a résolu de tenter le passage du Danube et de tomber sur le flanc gauche de l'ennemi. Le coup était hardi d'autant plus qu'il prenait pour champ de bataille une plaine immense qui donnait beau jeu à la cavalerie ennemie et qu'il pouvait être acculé au Danube l'ayant passé. Mais avec de l'audace, l'on réussit toujours avec le français. Le général Lecourbe qui tient notre extrême droite rassemble 15 bataillons près d'Hastel(?), s'approche des différents ponts sur le Danube que l'ennemi avait coupés, fait passer 80 nageurs à celui d'Hastel(?), qui était vigoureusement défendu. Les braves font suivre leurs armes dans une petite nacelle et nus avec leur giberne et leur fusil attaquent l'ennemi, prennent trois pièces de canon qu'ils tournent de suite contre lui. Pendant ce temps-là, l'on rétablit le pont, la cavalerie passe, fait une charge heureuse sur l'ennemi, lui prend 12 pièces de canon, le met en pleine déroute et 3000 prisonniers tombent en notre pouvoir. L'ennemi se retire sur Donawert *** et Ulm. Le général en chef arrive sur le soir et fait passer le Danube à trois divisions (sa réserve), la cavalerie arrive encore à temps pour suivre l'ennemi pendant trois heures dans les vastes plaines du Danube. Nous avons là 4 à 5000 chevaux qui harcelèrent l'ennemi. Nous lui prenons beaucoup de chevaux. C'est là où pour la première fois j'ai vu des manoeuvres de cavalerie et c'est réellement beau !
Nous les avons culbutés jusque derrière la .... Deux heures de jour de plus et nous les jetions dans Ulm. Néanmoins, nous avons fait 4000 prisonniers et pris 14 pièces de canon attelées et 5 drapeaux. Cette seconde affaire d'Hastel nous venge bien de la première où nous perdîmes 10000 hommes sous Louis XIV. Elle a eu lieu le 1er de ce mois. Le lendemain, nous avons pris 200 voitures attelées chargées de grains. L'ennemi après avoir retiré tous ses postes d'au-delà du Danube a laissé 600 hommes à Ulm et se retire vers Ingolstadt.
Le 4 messidor au matin, nous partons pour aller à la poursuite de l'ennemi. Le général Lecourbe veut arriver avant lui à Ingolstadt. Point encore de nouvelles d'Italie.
Je vous embrasse tous, mon frère se joint à moi. Votre meilleur ami. Delachasse (ou Decachasse).
HISTORIQUE : La bataille de Höchstädt, également appelée bataille de Hochstett, eut lieu le 19 juin 1800 sur la rive nord du Danube près de Höchstädt, et fut une victoire de l'armée française commandée par le général Jean Victor Marie Moreau opposée à l'armée autrichienne sous les ordres du baron Paul Kray. Les Autrichiens ont été contraints de se replier dans la forteresse d'Ulm, située à quelques kilomètres plus à l'ouest.
* Jean Victor Marie Moreau, né le 14 février 1763 à Morlaix (Finistère) et mort le 2 septembre 1813 à Laun (parfois orthographié Lahn), en Bohême, est un général français de la Révolution, également feld-maréchal de Russie et maréchal de France à titre posthume.
** Claude Jacques Lecourbe, né le 22 février 1759 à Besançon (Doubs), mort le 22 octobre 1815 à Belfort (Territoire de Belfort), est un général français de la Révolution et de l’Empire. Il est le fils d'un officier d'infanterie, chevalier de Saint-Louis.
*** Donauworth (en allemand Donauwörth, en français parfois Donawerth et Donauwerth) est une ville de l'État allemand de Bavière, chef-lieu de l'arrondissement de Danube-Ries, dans le district de Souabe.
Référence :
18859-14