DEUX LETTRES DE JEAN GAGNEUX, fusilier dans la 6ème compagnie du 2ème bataillon de la 178ème demi-brigade puis de la 17ème brigade, À SES PARENTS habitant Azay-sur-Cher. Lettres du 16 janvier 1795 depuis Landau et du 17 décembre 1796 depuis Strasbourg.
« Au citoyen Jean Gagneux demeurant à Asé sur Cher dépt d'Indre et Loire, A Asé sur cher près Tours » (Azay-sur-Cher). À la fin de chaque lettre, il fait passer des messages pour les familles de la part d'autres soldats de son pays : Joseph Filot, Sylvain Petit Bon, Jean Giraulet (Girollié).
- En janvier 1795, Jean Gagneux est fusilier dans la 6ème compagnie du 2ème bataillon 6ème compagnie de la 178ème demi-brigade en garnison à Landau, Armée de Rhin et Moselle.
Il prend des nouvelles de sa famille et est heureux d'en recevoir également ; il demande de l'argent à ses parents car il a des difficultés avec sa faible paye.
De la ville de Landau le 16 janvier 1795.
« Je vous écris ces lignes, c'est pour vous faire réponse à la votre que vous m'avez écrite ce 4 nivôse * par laquelle j'ai appris avec plaisir que vous jouissez d'une bonne santé. À l'égard de la mienne, elle est très bonne pour le présent. Je prie le seigneur de nous la continuer. Vous me marquez que ma soeur est mariée et vous ne dites pas qui est son mari. Je vous prie de me le marquer dans la prochaine.
L'on a fait une suspension d'armes, les troupes autrichiennes se sont retirées sur leur territoire et les troupes françaises se sont retirées de même sur le terrain français. Nous aurions grand besoin d'avoir la paix car les troupes commencent beaucoup à se fatiguer ainsi que tout le monde. Le papier n'a plus cours du tout. Nous sommes présentement avec du pain de 3 livres valant 8 sols. Vous me demandez des nouvelles de Paisse (?), je ne peux pas vous en donner, voilà un an qu'il est parti pour l'hôpital, je n'en ai pas entendu parler depuis (...) Je vous prie de faire tous mes compliment au citoyen Clément et à toute sa maisonnée (...). Mon cher père et ma chère mère, je vous prie de m'envoyer de l'argent en numéraire si vous avez cette bonté là. Ce n'est pas avec la paye que nous avons actuellement que nous pouvons bien vivre. Nous n'avons que deux sols d'argent par jour avec nos dix sols de papier.
En fin de lettre, après sa signature, il passe des messages :
Jean Giraulet se porte bien et fait bien ses compliments à sa mère et à toute sa famille ainsi que Joseph Filot qui fait bien ses compliments à tous.
Sylvain Petit Bon se porte bien et fait bien ses compliments à tous ...
3 pages in 4. Lettre avec adresse et trace de marque postale. Très bon état.
* 25 décembre 1795
- En décembre 1796, Jean Gagneux, est fusilier dans la 6ème compagnie du 2ème bataillon 6ème compagnie de la 17ème Brigade en garnison à Strasbourg (Bas-Rhin).
Le récit qu'il fait du siège de la ville de Kehl est très documenté.
Strasbourg, le 27 frimaire an 5 (17 décembre 1796)
« (...) À l'égard des nouvelles de l'Armée notre position est assez critique pour le moment, nous voyant privé des secours les plus urgents. Je veux parler de notre paye que nous ne recevons pas. Voilà trois mois consécutifs que nous ne recevons aucune solde ni presque d'habillement. Je ne sais à quoi attribuer cette faute du Gouvernement. Le deux frimaire, nous avons connu une affaire des plus vives avec l'ennemi devant Kehl*. Il s'agissait d'enlever à l'ennemi les redoutes et retranchements qu'il avait faits, sur quoi nous réussîmes après avoir éprouvé une perte assez conséquente de part et d'autre. L'on prit à l'ennemi ses pièces de canons. Six que l'on pu emmener avec difficulté qui s'englua et l'un fut forcé d'abandonner leur retranchement. Quelques jours après, nous y retournâmes et on leur prit les premiers retranchements qu'il fallut encore abandonner. Enfin pendant quatre nuits, nous fîmes le même manège et nos efforts devinrent toujours vains. Mais depuis quinze jours, l'ennemi en a commencé le siège. Ce n'est qu'un bombardement continuel. Jugé si les troupes qui sont là, sont à leur aise. Chaque demi-brigade y va à tour de rôle y passer deux jours et il n'est presque pas possible malgré la rigueur du temps d'y faire un feu ni de s'y promener. On est obligé de rester aux Palissades et malgré toutes ces précautions, il y a chaque jour quelques malheureux qui en sont les victimes. Dans votre dernière lettre, le citoyen Clément de Ris** m'avait chargé de m'informer du Général Beaupuy***. Après les recherches (...) j'ai appris que le Général commandait la 6ème division de l'Armée du Rhin et Moselle mais hélas, un coup fatal lui ôta la vie les derniers jours de vendémiaire devant Fribourg et son corps fut transporté à Neuf-Brisach où il fut enterré (...). Je finis mon cher père et ma chère mère en vous embrassant du plus profond de mon coeur et suis pour la vie votre très affectionné fils Jean Gagneux ».
Il termine sa lettre en demandant à ses parents de transmettre aux familles concernées des messages d'autres soldats : Jean Girollié m'a prié de vous dire d'assurer son respect à sa mère. Il se porte bien.
Fillot vous prie bien d'assurer de son respect au citoyen Clément de Ritz à sa épouse et à toute sa famille. Il désirerait bien savoir si son frère est encore au pays.
Je désirerais bien que vous me marquiez dans la réponse que j'attends de vous si Silvaire Petit Bon est arrivé au pays.
23,2 x 19,5 cm. 3 pages in 4 avec adresse et marque postale. Très bon état.
* KEHL : En 1678, la ville est annexée par la France de Louis XIV et considérée comme une section du système de défense de Strasbourg. En 1681, Strasbourg - en tant qu'ancienne ville libre impériale du Saint-Empire romain germanique - capitule et devient française. De fait, Kehl est transformée en une forteresse en 1683 par Vauban et l'ingénieur Jacques Tarade, la citadelle subira trois autres sièges en 1703, 1733 et 1796-1797.
** Dominique, comte Clément de Ris, baron de Mauny (1er février 1750, Paris - 22 octobre 1827, château de Beauvais, commune d'Azay-sur-Cher dans l'Indre-et-Loire), est un homme politique français.
*** Armand-Michel Bacharetie de Beaupuy, né le 14 juillet 1755 à Saint-Médard-de-Mussidan (Dordogne), tué le 19 octobre 1796 au Val d'Enfer (Forêt-Noire), est un général de division de la Révolution française.
En 1794, il est appelé à l'Armée de Rhin-et-Moselle, pour combattre en Allemagne et se distingue au combat de Frankental le 14 novembre 1795. Il est blessé de 7 coups de sabre au combat de Kork le 26 juin 1796. Il participe au combat de Neresheim les 10, 11 et 12 août 1796. Il décide de la victoire au combat de Geisenfeld le 1er septembre et contribue à la victoire de Biberach le 2 octobre 1796. Il commande l'arrière-garde lors de la retraite du général Moreau dans la Forêt-Noire. C'est là qu'il est tué par un boulet de canon au Val d'Enfer (en) à la bataille d'Emmendingen le 19 octobre 1796.
Référence :
18859-7