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SABRE DU GÉNÉRAL ETIENNE RADET OFFERT PAR LA VILLE DE SOLINGEN, Consulat. LE SABRE DU GÉNÉRAL QUI ARRÊTERA LE PAPE PIE VII

Vendu
SABRE DU GÉNÉRAL ETIENNE RADET OFFERT PAR LA VILLE DE SOLINGEN, Consulat.
LE SABRE DU GÉNÉRAL QUI ARRÊTERA LE PAPE PIE VII

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Samedi 26 septembre 2020 à 13h30 27200 Vernon

Maître Lydie BRIOULT , 8 avenue Ile de France, 27200 Vernon
Contact :
Tél 02 32 21 67 23
maitre.brioult@wanadoo.fr

Bertrand MALVAUX, Expert CNES

Estimation 30.000 / 50.000 euros

Monture en bronze doré. Garde à trois branches plates, la branche centrale à le bord extérieur décoré d’une moulure saillante perlée et festonnée, les deux branches latérales sont pliantes, avec ressort de blocage en acier par un fort poucier rattaché au quillon, quadrangulaire comme il est d’usage sous la Révolution. Pommeau quadrangulaire, bouton de rivure de forme pyramidale reçoit dans une glissière la fixation supérieure des trois branches. Fusée en bois à section carrée gainée de galuchat, filigranée de fils de laiton torsadés encadré de part et d’autre de fils d’argent. Quillon en acier. Cravate en laine écarlate.
Lame damas légèrement courbe, signée au talon « Samuel Mumm fabricant à Solingen ». Elle est gravée et dorée sur fond bleu sur son premier tiers. D’un côté : un décor de feuillages au talon et le l’inscription en lettres capitales « AU GENERAL RADET » sur fond de rinceaux et encadrée de trophées militaires. De l’autre côté : une couronne de laurier nouée par un ruban au talon et l’inscription en lettres capitales « LA VILLE / DE SOLINGEN » sur fond de rinceaux avec au centre les armoiries de Solingen représentant deux épées croisées brochant une ancre, cette inscription est encadrée de motifs floraux dans le haut et en dessous d’un oiseau. Longueur 91,5 cm ; largeur au talon 3,9 cm, épaisseur au talon 0,9 cm.
Fourreau en bois, recouvert de cuir verni noir, à trois garnitures de laiton doré. Chape, sur sa face avant, découpée en son centre d’un médaillon ovale (vertical) à bordure perlée, laissant apparaître le cuir du fourreau, elle est finement gravée du lion de Némée avec trophée d’armes d’instruments de musique et d’étendards avec branches de chêne et de laurier ; sur sa face arrière elle est gravée de feuillages et fleur sur deux canons croisés. Garniture centrale ajourée d'un même médaillon mais dans le sens horizontal, elle est gravée de perles, feuilles de laurier à l’avant, et, au dos pareillement au dos de la chape. Bouterolle découpée elle aussi d’un médaillon ovale (vertical) encadré d’un décor gravé de perles, palme, fleur, branches de laurier.
Pitons de bélières en bronze doré à embase rectangulaire, soudés sur le dos du fourreau. Anneaux de bélières en bronze doré.
Longueur totale avec fourreau 108,6 cm.

Très bon état de conservation : légers coups sur la bouterolle, dorure frottée sur les parties saillantes, lame ayant conservé ses couleurs avec quelques marques d’oxydation, cuir du fourreau avec petits accidents et trous de vers, il manque probablement un drap de couleurs au niveau des trois médaillons découpés.

Duché de Berg pour la France.

Consulat.

NOTES :
Les fourbisseurs de la ville de Solingen ont produit plusieurs sabres identiques ou proches pour des officiers généraux de prestige vers 1796 - 1800. Ainsi le Général Jean Joseph Ange d’HAUTPOUL reçu un sabre identique avec quelques variantes dans la forme de l’inscription du nom du général sur la lame (grandes lettres flambées cursives), ainsi que quelques détails dans le décor de la lame et des garnitures du fourreau. Les médaillons découpés dans les garnitures garnies de drap écarlate. Vente Artcurial Paris, le 25 novembre 2008, numéro 71 du catalogue.
Un autre exemplaire présente des similitudes au niveau de la monture, c’est le sabre-glaive offert au général ERNOUF en 1796, arme léguée au Musée de l’Armée à Paris en 1934 par l’arrière-petit-fils du général ERNOUF. Il est illustré dans le tome 3° du livre de Michel Pétard : « Des Sabres et Épées, troupes à pied de Louis XIV à nos jours » (page 155 figure 384).


LE GÉNÉRAL QUI ARRÊTA LE PAPE PIE VII
Le général Radet est l’une des grandes figures de la Gendarmerie du Consulat et de l’Empire. Inspecteur général de la gendarmerie en 1800. Il est l’instigateur du décret d’organisation promulgué par Bonaparte le 12 thermidor an IX (31 juillet 1801). Il s’oppose au Premier Consul quand celui-ci souhaite créer une police secrète rattachée à la gendarmerie et est disgracié. Après un séjour en Corse, il est détaché en Italie, à Gênes, dans le royaume de Naples, puis en Toscane. Il y organise des compagnies de gendarmerie et y réprime le brigandage. Il participe le 6 juillet 1809 à l’enlèvement de Pie VII. Quatre ans plus tard, il est envoyé dans les départements septentrionaux de l’Empire, tels que la Hollande ou l’Allemagne du Nord, et reçoit pour mission d’y organiser une gendarmerie sur le modèle hexagonal. Pendant la période des Cent Jours, il se rallie à l’Empereur et redevient inspecteur général. Au retour des Bourbons, il rentre dans ses foyers. Le 4 janvier 1816, il est arrêté et écroué à Besançon. Il y demeure trois ans avant d’être remis en liberté en 1819. Quelques années plus tard, le 28 septembre 1825, Radet meurt des suites d’une maladie probablement contractée lors de ses trois ans de détention.
La carrière de cet officier de gendarmerie demeure liée à un épisode fameux de l’histoire de France : l’enlèvement du pape Pie VII à Rome.


BIOGRAPHIE DU GÉNÉRAL DE DIVISION RADET
De nombreux textes et biographies existent sur ce général connu, mais nous avons choisi de cité la biographie faite par le lieutenant-colonel Charles ÉGRET, (C.R.) (Diplômé de l’enseignement militaire supérieur de la gendarmerie, - Revue d’études et d’informations de la gendarmerie 1er trimestre 1996 - N°18
Parmi les figures qui se détachent de la période tourmentée de la Révolution et de l’Empire, la gendarmerie peut se glorifier de l’action du général de division Radet, baron d’Empire, inspecteur général de la gendarmerie. À plusieurs reprises, il va jouer, durant cette période, un rôle déterminant dans l’histoire militaire et politique de la France. De Varennes, où en 1791 il tente d’aider le roi à s’échapper, à l’arrestation du Pape Pie VII dont il est chargé en 1809, il va croiser ainsi quelques-uns des grands acteurs de l’époque.
Étienne Radet est né le 19 décembre 1762 à Stenay dans la Meuse. À 15 ans il s’engage dans le régiment Jarnac-Dragon mais son père l’en retire et le place dans le cabinet d’un procureur. Il y passe trois années avant de s’enrôler dans le régiment de la Sarre. En 1784, il est adjudant. L’année suivante son père décède, laissant trois enfants en bas âge. Il se fait alors congédier de son régiment et rentre en Lorraine. Varennes devient sa ville d’accueil. Là, il entre dans la maréchaussée du Clermontois (1786). Dès 1789, il fait partie de la garde nationale.

Varennes
Lors du passage du roi Louis XVI en 1791, Radet tente de favoriser sa fuite, par fidélité à la monarchie. Dans la nuit du 21 juin 1791, Radet, alors commandant élu des canonniers de Varennes, est réveillé en sursaut par des coups violents et précipités frappés à sa porte. Son lieutenant, Raillet, lui annonce que le roi et la reine viennent d’être arrêtés, devant l’auberge du « Bras d’or », par les villageois. Ces derniers ont été alertés par le maître de poste Drouet. Il se rend aussitôt sur les lieux.
Le tocsin sonne. Radet rassemble ses hommes et fait mettre ses deux canons en batterie. La foule s’agglutine. Radet sent que, s’il attend, le roi est perdu. Il donne l’ordre aux gardes nationaux de Monblainville qui barrent l’accès au pont de l’aire.
de laisser passer la berline royale. Ceux-ci refusent, lèvent leurs armes, et Radet doit se replier vers l’auberge. Il envisage alors de gagner, avec la famille royale, la forêt toute proche, en passant par les jardins situés à l’arrière du « Bras d’or ». Il présente son projet au duc de Choiseul qui le soumet au roi. Celui-ci, persuadé que les événements vont s’arranger et qu’il pourra poursuivre son chemin ne se montre guère enthousiaste. Radet tente encore de faire atteler la berline royale, mais en vain. Au matin du 22 juin, arrivent les envoyés de l’Assemblée nationale, porteurs du décret rappelant le roi à Paris. Radet s’efforce de gagner du temps, une fois encore sans succès ! Le roi regagne Paris, Radet a échoué mais il est resté fidèle au pouvoir en vigueur. Plus tard il est inquiété par le tribunal révolutionnaire de Saint-Mihiel (55) qui l’acquitte faute de preuve. Il sert ensuite tour à tour la République et l’Empire. Dès 1797, il est affecté en gendarmerie.

Les jalons d’une gendarmerie moderne
En 1800, général de brigade, il se voit appeler au poste, nouvellement créé par l’arrêté du 8 germinal an VIII, d’inspecteur général de l’Arme, à Paris. Le 4 décembre, Radet présente à Bonaparte le premier règlement sur la gendarmerie avec trois axes fondamentaux qui posent les jalons biséculaires du fonctionnement de l’Institution : la surveillance administrative qui préviendra les délits, la force militaire qui poursuivra et saisira les coupables, enfin la police judiciaire qui concourra à leur punition. Napoléon Bonaparte, premier consul, accepte ces principes, et promulgue l’arrêté d’organisation du 12 thermidor an IX (31 juillet 1801) créant notamment le poste de premier inspecteur général avec le grade de général de division ainsi que deux postes de généraux de brigade inspecteurs généraux. Pourtant, Bonaparte exige qu’une police secrète soit ajoutée à cette institution. Radet n’en est pas partisan car l’ajout de cette police secrète nuira à coup sûr à l’image de la gendarmerie.
Voici ce qu’il écrit à ce sujet :
« Je réorganisai la gendarmerie et elle se meut encore aujourd’hui d’après les règlements que j’ai faits pour elle et les relations que j’ai fixées entre elle et les autorités des différentes tranches de l’administration publique. Cependant, Bonaparte voulait que la gendarmerie fît une police qui lui aurait ôté sa considération, par conséquent sa force morale. Je m’y refusai. Néanmoins il me nomma et m’intima de nouveau ses ordres. Je refusai. Moncey fut nommé. »
Radet est alors disgracié. Envoyé en Corse, il a pour mission de réprimer le brigandage et de rétablir l’ordre. Au bout de trois ans il achève sa mission. Il demande alors sa mutation et rentre à Varennes.
En 1805, sa carrière prend une nouvelle dimension. C’est désormais à l’échelle de l’Empire qu’il va déployer ses talents d’organisateur. Détaché en Italie, à Gênes, dans le royaume de Naples, puis en Toscane il y organise des compagnies de gendarmerie et réprime le brigandage. En 1809, il reçoit l’ordre d’enlever le nouveau pontife Pie VII.

L’enlèvement du pape PIE VII

Gregorio Luigi Barnaba Chiaramonti est né en 1742 à Cesena. Bénédictin à l’âge de 16 ans, abbé de Saint-Calixte, à Rome, à 33 ans, il est nommé évêque de Tivoli en 1782, puis évêque d’Imola et cardinal en 1785. Le 14 mars 1800, il est élu pape. En mémoire de son prédécesseur, il prend le nom de Pie VII. Sur ordre de Napoléon, le pape Pie VII, qui a excommunié l’empereur quelques semaines auparavant, est arrêté au palais du Quirinal par le général de gendarmerie Radet. Cette gravure italienne de Pinelli évoque la terrible scène. Le pape, résigné à son sort, s’apprête à suivre les gendarmes après avoir baisé le crucifix. Le 2 décembre 1804, Napoléon 1er, désire rétablir une dynastie, se fait couronner empereur par Pie VII. Pourtant, dès 1805, les relations franco-vaticanes se détériorent. En effet, le pape, intransigeant sur toutes les questions qui concernent la foi et les mœurs, refuse d’annuler le premier mariage du frère de Napoléon. Très vite, l’empereur français fait occuper militairement le port d’Ancône. En 1806, il annexe plusieurs États pontificaux (Marches, Bénévent, Pontecorvo). Afin de maintenir la neutralité du Saint-Siège dans le grand conflit qui bouleverse l’Europe, le pape ne trouve qu’une seule parade : il excommunie Napoléon 1er le 10 juin 1809. En juillet 1809, l’empereur fait enlever le souverain pontife et son ministre, le cardinal Bartolomeo Pacca. Dans la soirée du 6 juillet 1809, le général de gendarmerie Radet cerne le palais du Quirinal. Malgré sa grande dévotion, il réalise sa mission. Pie VII est alors conduit à Savone où il est placé en résidence surveillée dans le palais de l’évêque. En février 1810, les États du Vatican sont réunis à l’Empire français. Pie VII reste impuissant. Après la débâcle de Russie, Napoléon désire un rapprochement avec le Saint-Siège. Le 21 mai 1812, il ordonne le transfert de Pie VII de Savone à Fontainebleau. Le 25 janvier 1813, Pie VII signe, la mort dans l’âme, le concordat de Fontainebleau qui lui ôte le pouvoir exclusif d’instituer les évêques. Pie VII se résigne de fait. En 1814, Pie VII regagne l’Italie après l’écroulement de l’Empire.
Ainsi, pour la seconde fois, Radet est un acteur direct de l’épopée révolutionnaire et impériale.

Radet baron d’Empire
De 1809 à 1810, Radet fait un séjour à Rome, et c’est en 1809 qu’il est élevé au rang de baron d’Empire. En 1813, il est envoyé dans les départements situés à la limite septentrionale de l’Empire (Hollande, Allemagne du nord). Comme en Italie, il reçoit pour mission d’organiser une gendarmerie sur le modèle hexagonal. Il s’assure de la répression du brigandage, et la même année, il est promu général de division et reçoit le brevet de grand prévôt de la Grande Armée. Il va donner alors la vraie mesure de son talent militaire.

La gendarmerie, force prévôtale, a en effet un rôle éminent, celui d’empêcher qu’une retraite éventuelle ne se transforme en déroute, voire en débâcle. Lorsque les armées impériales repassent le Rhin, il rallie les traînards, crée des dépôts, organise des îlots de résistance. À plusieurs reprises, il mène des contre-attaques pour dégager des points essentiels (ponts, carrefours), nécessaires au repli des troupes impériales. En janvier 1814, il est chargé d’organiser la défense dans la région de Varennes. Il participe ensuite à la campagne de France, où l’empereur éclaire des derniers feux de son génie militaire l’aube d’une ère nouvelle.

La Restauration
Napoléon abdique le 6 avril 1814. Le Gouvernement accorde à Radet un congé afin qu’il puisse guérir ses blessures. Il est mis en demi-solde, et de retour à Varennes, il s’occupe de ses terres.
Mais Napoléon tente d’inverser le destin et entraîne la France et l’Europe dans sa dernière épopée, les Cent-Jours. Radet rallie l’empereur. Reçu par ce dernier, il reçoit pour mission de s’assurer du soutien à l’Empire de la région du Midi.
En avril 1815, il est nommé inspecteur général de la gendarmerie, sous les ordres de Savary, premier inspecteur général, tout en continuant d’exercer ses fonctions de grand prévôt des armées. À Waterloo, Radet est blessé. Il tente de rallier les fuyards et de réorganiser les troupes. Il est à Paris où l’on soigne ses blessures lorsque l’empereur abdique. Il garde cependant ses fonctions auprès du Gouvernement provisoire, et fait se rallier la gendarmerie au Bourbon.

En août 1815, Radet reçoit l’ordre de rentrer dans ses foyers. Il pense couler une retraite paisible, mais il reçoit plusieurs avertissements d’amis qu’il a conservés dans les arcanes du pouvoir, l’informant qu’il risque d’être inquiété. Il refuse d’en tenir compte. Il est arrêté le 4 janvier 1816, et écroué à Besançon. On l’accuse d’insoumission à Louis XVIII, de rébellion à l’autorité légitime. Pendant trois ans, ce héros de l’épopée impériale va rester en prison. Il n’est libéré qu’en 1819 après un recours en grâce mais il reste cependant sous surveillance administrative, car l’homme n’est pas favorable aux ultras. Radet s’éteint le 28 septembre 1825, d’une maladie contractée durant sa détention politique.
Homme d’honneur et de conviction, Radet n’hésite pas à aider parfois des royalistes. Il reste droit et ferme dans le climat de violence politique qui agite l’époque. Précurseur de l’impartialité de l’institution à laquelle il voua sa vie, son énergie et ses qualités, il sert son pays en tous lieux, des rives de la Baltique à la mer Tyrrhénienne. Il parcourt l’Empire inlassablement. Animateur, organisateur, il répand le modèle de la gendarmerie française. Aujourd’hui, l’Italie est encore marquée par cet exemple d’organisation, d’une institution à la fois militaire et policière.

Chronologie de l’enlèvement du pape PIE VII

La mission de Radet
Nous sommes au temps de la mise en place progressive de la gendarmerie d’Italie. Le baron Radet, inspecteur général de la gendarmerie française, est en tournée d’inspection en Toscane. Il met la dernière main à l’organisation de la gendarmerie du département de l’Arme lorsqu’il reçoit, à Pescia, un ordre de l’Empereur que lui a fait parvenir le prince Borghèse. De Schoenbrunn, Napoléon ordonne le départ immédiat pour Rome, et le mouvement « avec célérité » de quatre cents gendarmes à cheval concentrés depuis peu de temps dans cette ville. Laissant au colonel de gendarmerie Coste le soin de procéder à ce déplacement, le premier gendarme de France, accompagné seulement de deux sous-officiers, chevauche vers la ville éternelle où il arrive dans la nuit du 12 au 13 juin 1809 pour se présenter au général comte Miollis, gouverneur de la ville des états romains depuis l’avant-veille. Cet officier lui brosse un tableau des plus sombres d’une situation dont le processus de dégradation devient très préoccupant. Les bulles d’excommunication ont fait « une sensation profonde dans l’esprit public ». le nouveau Gouvernement n’a pas les moyens d’affirmer son autorité avec une garnison réduite. Désordre et brigandage s’instaurent en ville. Dans cette conjoncture, le général Radet est chargé de la direction générale de la police des états romains. C’est le cadeau traditionnel qui est fait aux gendarmes quand, de manière irréversible, les situations sont gravement compromises… !
Radet est confronté dans les jours qui viennent aux problèmes de maintien ou de rétablissement de l’ordre qui doivent être résolus, selon les instructions, avec douceur et souplesse pour ne pas surexciter une population à l’esprit échauffé. Là-dessus, fin juin, une flotte anglo-sicilienne, mal estimée, mais, dit le général, « considérable », croise à la vue de Rome pendant trois jours. C’est la crainte du débarquement. Pour y parer, les maigres effectifs rassemblés en hâte se concentrent à Naples, cependant que la flotte ennemie s’empare des trois ports de la baie napolitaine : Capri, Ischia et Procida.

Le vide des troupes encourage les exactions, c’est l’insécurité partout. Dans Rome, où il ne reste que cinq cents soldats et cent gendarmes à cheval, les fêtes de Saint-Jean et de Saint-Pierre fanatisent les habitants : on sent vraiment la révolution qui couve.
Le général Miollis songe à se replier sur Spoleti et pense qu’il ne reste qu’un seul moyen pour rétablir le calme, celui d’éloigner le pape de Rome. Il convoque Radet, le 4 juillet au matin, et lui déclare « qu’il l’a choisi pour mener à bien cette importante opération. »
Devant ce choix, un autre général qui est passé à la postérité, je veux parler de Cambronne, aurait sans doute manifesté vertement sa surprise par le mot incisif qui a fait sa fortune. Mais le baron Radet de la gendarmerie se borne à faire les représentations réglementaires. Il exige un ordre écrit, il veut des délais suffisants et sollicite le temps de la réflexion. Il se retire dans ses appartements et s’enferme pour réfléchir. Seul avec sa conscience, il n’arrive pas à se déterminer. Le chrétien à la foi solide, aux sympathies secrètes, mais vivantes, pour l’Église de Rome, dont le respect pour la personne du pape était inspiré, ce catholique fervent s’opposait au baron de l’Empire, général par la volonté de l’Empereur, qui, à la tête d’une arme d’élite, a prêté le serment d’obéissance.
« Le gouverneur Miollis lui a rappelé, quelques heures auparavant, que "comme militaire nous étions essentiellement obéissants, passifs et responsables, sur notre tête, de l’exécution des ordres suprêmes qui nous étaient donnés" ».
Ainsi confronté à l’alternative sans doute la plus cruelle de sa vie, il lui fallait être parjure ou sacrilège. La prière à laquelle il a recours lui inspire une réponse claire sous la forme d’un alexandrin de tragédie : « L’honneur de mes serments me dictait mon devoir ». Et il accepte l’accomplissement de cette mission historique.
Il conçoit le plan qu’il soumet à Miollis et que celui-ci approuve. Tout est fondé sur le secret absolu.

Le plan de Radet

L’opération doit se dérouler dès le lendemain 5 juillet. Un bataillon de huit cents Napolitains a rejoint Rome dans la nuit. Radet le consigne comme les autres troupes dans les casernes pour la journée du 5, afin d’éviter tout soupçon au palais du Quirinal.
Le soir, vers les neuf heures, les chefs militaires sont convoqués par le général Radet pour recevoir individuellement des ordres.
À dix heures, les troupes sont réunies place des Saint-Apôtres et à la caserne de la Pilotta, près du mont Cavallo. Après une inspection, le général remonte chez lui avec ses subordonnés privilégiés dans cette affaire : le colonel Siry, commandant la place, et le colonel Coste, commandant la gendarmerie. Le gouverneur Miollis les attend pour leur remettre l’ordre écrit « d’arrêter le cardinal Pacca et, en cas d’opposition de la part du pape, d’arrêter aussi Sa Sainteté, et de les conduire à Florence ».
Les scrupules du général Radet ne s’accommodent pas d’un ordre conditionnel, mais le temps n’est plus aux tergiversations, et le général Miollis sort à onze heures, sans commentaire.
Radet un instant pense aux paroles du Christ au Mont des Oliviers : « Juda, ce que tu as à faire, fais le vite », et sans perdre de temps, il rejoint la Pilotta et les saints Apôtres. Ce soir, c’est le silence lourd, pesant, un peu insolite pour les gardiens du pape. L’horloge du Quirinal prend congé de la journée du 5 juillet par les douze coups de minuit.
Le général Radet met en place lui-même ses patrouilles, ses gardes, ses postes et ses détachements d’opération. Il donne les ordres aux chefs, fixe les consignes et arrête l’heure et le signal de l’assaut.
Quand, à la tour du Quirinal, sonnera le seul coup d’une heure, chacun, spontanément, agira selon les ordres. Pendant ce temps, le cardinal Pacca et le Saint-Père, après avoir passé une journée d’angoisse et de fatigue, veillent dans leurs appartements. Le pape se couche très tard, le cardinal passe la nuit et ne se couche qu’aux premières heures du jour quand il croit tout danger écarté.
Pendant ce temps encore, et pour la quiétude de « ces deux prélats décrépits », comme les désigne Châteaubriand, un officier de la garde papale est en vedette sur la grande porte d’entrée du Quirinal dont il assure la surveillance.

L’assaut du Quirinal

Déjoué par cette présence d’alerte, Radet diffère l’heure d’exécution de ses ordres et guette le guetteur qui ne se sait pas surveiller. À deux heures trente-cinq, rassurée, la sentinelle rentre au palis. Le signal est donné aussitôt. L’assaut commence.
Un détachement de trente hommes escalade les murs du jardin, près de la grande porte, pour garder les issues de la cour de la paneterie et les passages qui conduisent à la Sainte Chapelle.
Un autre détachement de vingt-cinq hommes garde la petite porte, pour garder les issues de la cour de la paneterie et les passages qui conduisent à la Sainte Chapelle.
Un autre détachement de vingt hommes garde la porte arrière dite « de Lavatojo ».
Le colonel Siry, avec un détachement de cinquante hommes, pénètre par la fenêtre d’une chambre vide des communs où loge le personnel de service.
Le général Radet fait placer les échelles destinées à lui permettre d’atteindre la toiture de la daterie pour pénétrer dans les appartements pontificaux ; mais coup sur coup, les deux échelles cassent, et les quarante hommes de son groupe sont au pied du mur sans autre ressource que d’utiliser la grande porte quand sera possible. Ce le fut assez vite par les soins du colonel Siry qui, ayant traversé la cour intérieure, parvient à la porte cochère du palais.
La jonction des deux détachements, renforcés de vingt des vingt-cinq hommes inutiles à la petite porte que l’on avait murée, portait l’effectif d’assaut à cent dix personnels. L’horloge du Quirinal sonne trois heures. Le général Radet pense qu’il s’agit du tocsin. Voyant qu’il n’en est rien, et après avoir dispersé un groupe d’ouvriers qui paraissaient vouloir se défendre, il monte aux appartements et pénètre dans l’antichambre des sanctifications, où les quarante hommes de la garde suisse, avec leur capitaine, sont rangés. Il les somme de « mettre bas les armes », ce qu’ils font sans résistance, ayant reçu l’ordre du Saint-Père de s’abstenir. Gardés à vue dans leur propre corps de garde, ils laissent la voie libre.
L’alerte avait pourtant été transmise aux occupants. Dans la cour, déjà, les ouvriers avaient crié « All’arme traditori », de même que les serviteurs, réveillés par le détachement du colonel Siry, s’étaient vite rendus compte de la situation. Le valet de chambre du cardinal Pacca vient en toute hâte prévenir son maître qui se lève précipitamment et court à la fenêtre. À la vue des gens armés qui, flambeaux à la main, courent vers les portes des appartements, et d’autres gendarmes qui franchissent le mur avec des échelles pour occuper la cour de la paneterie, le cardinal Pacca ordonne à son neveu, Jean Tibérino Pacca, d’aller réveiller le Saint-Père, comme il en était convenu. Vêtu de sa robe de chambre, il se rend lui-même auprès du pape. Le souverain pontife se lève, sans émoi apparent, revêt un aumusse et une étole et passe dans la chambre des audiences où il s’assoit.
Le cardinal Pacca y réunit quelques prélats, quelques officiers et d’autres employés de la secrétaire qui demeurent au palais.

Devant les portes fermées, et bien qu’il soit conduit par des familiers des lieux qu’il appelle hommes de confiance et que le cardinal Pacca appelle des « sujets rebelles » dans ses mémoires, le général Radet est contraint d’enfoncer les portes. Il sait, en effet, que, pour atteindre le cardinal Pacca qu’il a la mission d’arrêter, il lui faut traverser les appartements du pape. Selon les témoignages, les Français brisèrent les portes à coups de hache ou frappèrent à coups répétés demandant qu’on veuille bien ouvrir au nom de l’Empereur. Soudain, le bruit d’une clef qu’on introduit dans la serrure et qu’on tourne arrête les élans ; le pêne résonne et la porte s’ouvre. Le pape a ordonné qu’on ouvre « pour éviter un plus grand désordre et quelques accidents fâcheux ».

Arrestation du pape

Un prélat, jeune et grand, vêtu de noir, se présente au général Radet qui lui demande son nom :
- Pacca, répond-il.
- Son Éminence ?
- Non, son neveu.
- Conduisez-moi auprès du cardinal.
Le jeune homme s’incline et désigne, sans un mot, un corridor au bout duquel il y a une chambre éclairée et du monde debout. Le général se découvre et, chapeau à la main, pénètre le premier dans la pièce où il voit Sa Sainteté assise à son bureau, en habits pontificaux, entourée de grands dignitaires : à droite, le cardinal Desping, à gauche, le cardinal Pacca. Quelques officiers de gendarmerie suivent leur chef et rentrent à leur tour. Le général Radet se place en face du Saint-Père. Pendant quelques minutes, il y a un profond silence.
Le général, dans une lettre rédigée le 12 septembre 1814 à Paris, pour permettre à sa nombreuse famille, en toute intégrité, l’héritage le plus précieux pour un inspecteur général de gendarmerie, son honneur, écrivait pour justifier ce silence :

« Que tout autre se mette dans cette position et, à moins d’avoir perdu tout sentiment moral et humain, il jugera de l’état pénible de ma situation. Je n’avais pas encore d’ordre de m’emparer de la personne du pape ; un saint respect pour cette tête sacrée, doublement couronnée, remplissait tout mon être et toutes mes facultés intellectuelles ; me trouvant devant elle suivi d’une troupe armée, un mouvement oppressif et spontané se fit sentir de tous mes membres ; je n’avais pas prévu cet incident et je ne savais comment me tirer de là. Que faire ? Que dire ? par où commencer ? Voilà la difficulté de ma mission ».

Vieux soldat, bon diplomate, Radet se donne du temps. Il ordonne à la troupe de quitter la salle et de ranger dans la salle du trône en vue de patrouilles dans le palais pour y maintenir l’ordre. Et, subrepticement, il envoie en toute hâte le maréchal des logis de gendarmerie Cardini rendre compte au gouverneur et demander ses ordres. En attendant son retour, il fait ranger les officiers et les sous-officiers près de lui pour former une haie. « Ils entrent avec la plus grande honnêteté, le chapeau à la main, et s’inclinent devant le pape. « Au bout de cinq minutes, Cardini revient et transmet en secret l’ordre du général Miollis », d’arrêter le pape avec le cardinal Pacca et de les conduire incontinent hors de Rome ».
Pâle, mais maître de lui, Radet inspire profondément et s’avance respectueusement très près du pape, tenant son chapeau d’une main et l’autre main sur la poitrine. Il s’incline et dit au souverain pontife d’une voix tremblante :
« Autant il en coûte à mon cœur de remplir près de Sa sainteté une mission douloureusement sévère, autant mes serments et mes devoirs sacrés m’en imposent l’obligation ».
À ces mots, le pape se lève, regarde le général, et avec une dignité attendrissante, mais fermement, l’interroge en ces termes :
« Pourquoi venez-vous à cette heure troubler mon repos et ma demeure ? Que voulez-vous ? »
« Très saint-père, je viens au nom du Gouvernement, réitérer à Votre Sainteté de renoncer officiellement à sa souveraineté temporelle ».
Sans se déconcerter le pape dit alors :
« Je n’ai agi, dans tout ce que j’ai fait, qu’après avoir invoqué les lumières de l’Esprit saint. Si vous avez cru devoir exécuter les ordres de l’Empereur parce que vous lui avez prêté serment de fidélité et d’obéissance, vous comprendrez comment nous devons soutenir les droits au Saint-Siège auxquels nous sommes liés par tant de serments. Nous ne pouvons renoncer à ce qui ne nous appartient pas ; le domaine temporel appartient à l’église romaine et nous n’en sommes que les administrateurs. Vous me taillerez plutôt en pièces que de me faire rétracter ».
Le général Radet supplie le pape d’éviter toute révolte qui dégénérerait infailliblement en massacre, ce dont convient Pie VII qui se plaint « d’être loin de s’attendre à voir tant de maux à être traité avec autant de mépris et d’ingratitude par le chef d’une nation aimable, auquel il avait donné de si grandes preuves de son affection particulière ».
- Je sais que l’Empereur a beaucoup d’obligations à Sa Sainteté, dit le général Radet.
- Plus que vous ne croyez, reprit le pape d’un ton expressif.
Devant les marques de déférence et les protestations de révérence à l’endroit du souverain pontife, de la religion catholique et romaine, le pape dit au général Radet : « Au surplus, je lui pardonne à lui et à tous ».
Plus assuré par cette conversation d’une solennelle gravité, le général, pressé par le temps, déclare finalement au pape qu’il a l’ordre de l’emmener hors de Rome.
Le pape répond alors :
« Puisqu’il en est ainsi, je cède à la force, mais vous m’accorderez bien à moi et aux personnes qui doivent me suivre, deux heures pour faire nos préparatifs de voyage ».
Prié de dresser la liste de ses accompagnateurs, le pape s’assied alors à son bureau, rédige et tend le papier que Radet confie publiquement à l’officier de gendarmerie, nommé Defilippi, pour qu’il aille consulter le gouverneur. Dix minutes après, l’officier, de retour, rend réponse à haute voix :
« L’ordre de son Excellence le général est que le pape et le cardinal Pacca partent à l’instant avec le général Radet, les autres suivront après ».
Sans parler, le pape se lève, souffrant, et le général Radet s’avance pour le soutenir par les bras ; le cardinal Pacca est prié de se préparer au départ par un officier de gendarmerie présent qui l’accompagne, au travers de la chambre du pape, jusqu’à sa propre chambre pour s’habiller, car il était en simple soutane.
En soutenant le pape, la main du prélat se trouve par hasard dans celle du général Radet qui, ne pouvant résister au sentiment de vénération, baise pieusement cette main sainte ainsi que l’anneau pontifical. Dans cet élan, il invite secrètement le pape, avec lequel il est seul dans la chambre, à confier à qui il le voudrait secrets, ordres et choses précieuses s’il le désire. Le pape répond, et ce furent ses ultimes paroles au Quirinal :
« Quand on ne tient pas à la vie, on est loin de tenir aux biens de ce monde ».
Pendant ce temps, le cardinal Pacca, accompagné de deux officiers de gendarmerie, revêt ses habits, son rochet et son aumusse, pensant se rendre à la maison Doria, résidence du gouverneur Miollis. Quand il sort de sa chambre, le pape est parti sans qu’on laisse le temps à son valet de chambre de mettre dans une valise un peu de linge pour le voyage. Accompagné du colonel Coste, commandant la gendarmerie romaine, le cardinal rejoint dans les appartements, le pape qui, donnant le bras au général Radet, marche avec peine sur les portes brisées et les échelles renversées avant de traverser la grande cour. Arrivé à la grande porte, le pape s’arrête et bénit Rome. Il était quatre heures moins cinq minutes note le général Radet (on reconnaît là le gendarme), et la troupe reçoit la bénédiction du Saint-Père avec un saint respect. Il n’y a personne aux fenêtres ni sur la place.
Le spectacle est profond, d’un apparat militaire calme, immobile, caractérisé par l’audace et la vénération.

Le départ vers l’exil

La voiture du général Radet est là, il s’agit d’une « Bastarda ».
Il est difficile de savoir qui y monta le premier : Pacca, selon Radet, puis le Saint-Père aidé par lui : le pape pour Pacca.
Le général confie le Quirinal au colonel Coste, monte sur le siège, et le chef Cardini se place à son côté. Ordre est donné au cocher de se diriger vers la Porta Pia par la porte Salara puis, le long des murs, hors la porte du peuple. Pendant cette tournée de remparts, la « Bastarda », escortée de gendarmes, ne cesse de croiser des troupes en patrouille.
Le général Radet a retrouvé un peu plus de quiétude, il fait arrêter la voiture au franchissement de la porte du peuple qui était fermée comme toutes les autres. C’est le changement d’équipage : on prend la poste. Pendant qu’on dételle, Radet essaie de dédramatiser la situation. Il parle à Sa Sainteté, il s’inquiète de sa santé et de ses besoins. En particulier, il offre des provisions de voyage qu’il avait fait préparer pour les deux prélats. Le pape reproche avec douceur au général Radet le mensonge qu’il avait en disant qu’il allait le conduire auprès du Gouverneur, ce qui n’était pas le cas, et répond à son offre :
« Je suis bien : Notre-Seigneur a bien autrement souffert ».
Et ici interviennent deux anecdotes significatives des dispositions d’esprit et de cœur de l’inspecteur général de la gendarmerie. Alors que le pape ouvre sa tabatière de tabac fin dont il ne reste que deux prises. Le général se fait un devoir de remplir la boîte vide, « ce qui parut flatter le Saint-Père qui n’avait songé à rien prendre ». Et, en attendant le départ, subordonné aux ordres du général Miollis, qu’un membre de l’escorte était allé solliciter, le pape demande au cardinal Pacca s’il a de l’argent avec lui et tire de sa poche, un pepetto, une petite pièce d’argent, cependant que le cardinal trouve au fond de sa bourse un grosso. Malgré la situation d’affliction et de douleurs, les deux prélats ne peuvent s’empêcher de rire. Et, en effet, c’était cocasse de voir le Saint-Père en aumusse et étole montrer entre ses deux doigts une pièce d’argent en disant :
« De toute ma souveraineté, voyez ce que je possède maintenant ».
Récidivant dans son geste de bonté filiale, le général Radet sort de la poche du siège de sa voiture sac rempli d’or et d’argent et l’offre à Sa Sainteté en lui demandant de le prendre pour ses aumônes, car cette somme lui étant personnelle, il lui est agréable de la lui offrir. Ce dont le Premier ministre, en camail, rochet et aumusse, s’empare lestement dès que le pape a acquiescé, au départ de la voiture, à la sortie de Radicofani. Pour le remercier, Pie VII offrit au baron Radet cette tabatière en écaille avec miniature le représentant.
Juste avant le départ, un officier envoyé au Quirinal vient rendre compte que des sbires ont été surpris en train piller la Sainte-Chapelle. L’auteur principal ayant pu être arrêté, le général prescrit la traduction immédiate du coupable devant un conseil de guerre.
Le pape intervient dans cette décision pour faire observer qu’il s’agit d’un sbire, car, dit-il « un soldat français n’aurait pas commis un tel crime ».
Sa Sainteté toujours mue par un sentiment d’ineffable bonté demande au général si l’événement a nécessité que le sang soit répandu. « Pas la plus petite goutte », répond Radet. « Dieu soit loué », dit le Saint-Père. On notera ici une petite distorsion ave le récit du cardinal Pacca qui fait sienne la réponse à la question du général, une réponse amère provocante et probablement mensongère, compte tenu de l’idée que je me fais de cette éminence italienne, vaniteuse, vindicative et très temporelle, « quoi ! lui répondis-je, étions-nous donc dans un fort pour faire résistance ? ».
Une inévitable et interminable polémique s’est élevée au sujet de l’ordre d’enlèvement du pape. S’agissait-il, vraiment d’une décision express de l’Empereur ou d’une initiative locale romaine et, dans ce cas, à quel niveau : celui du général gouverneur, comte Miollis, ou du général de gendarmerie Radet ?
En fait, c’est un mauvais procès qui a été intenté au gendarme qui se trouvait être, dans cette conjoncture très difficile, le général moins ancien dans une garde moins élevé. Il est humainement intéressant de discriminer les responsabilités de chacun ; en tout cas, le tribunal de Dieu ne s’y trompera pas !
En dépit des dénégations réitérées de Napoléon dans la période qui a suivi l’enlèvement, l’ordre d’arrestation émane bien d’écrits de sa part :
- dans une lettre au roi de Naples, le 12 juin 1809, écrite de Schoenbrunn : « Il faut agir à Rome comme j’agirais avec le cardinal, archevêque de Paris – on doit parler au pape clair » ;
- au même roi de Naples, le 14 juin 1809 : « Si le pape, contre l’esprit de son état et de l’Évangile, prêche la révolte et veut se servir de l’immunité de sa maison pour faire imprimer des circulaires, on doit l’arrêter. Le temps des scènes est passé. Philippe le Bel fit bien arrêter Boniface, et Charles Quint tint longtemps en prison Clément VII, et ceux-là avaient fait encore moins » ;
- au général Miollis, le 19 juin 1809 : « Vous ne devez souffrir aucun obstacle… vous devez faire arrêter, même dans la maison du pape, tous ceux qui traîneraient… » ;
- dans une lettre du 8 juillet 1809, le roi de Naples écrit à l’Empereur : « conformément aux ordres de Votre Majesté, que j’avais transmis à Miollis, le pape et le cardinal Pacca ont été arrêtés hier matin et dirigés sur Florence…, sire, nous voilà débarrassés d’un très mauvais voisin… »
Ceci est confirmé par :
- Monsieur Avtout, auteur du livre Conversations religieuses de Napoléon, qui écrit dans son ouvrage Palais de Fontainebleau : « L’ordre autographe avec lequel agit le général Miollis existe à Paris ; il est signé : Murat, de la main de Madame Murat, reine de Naples » ;
- le vicomte de Meaux, dans son livre Pie VII et Napoléon, affirme lui aussi que « des lettres de napoléon à Murat, des 17 et 19 juin 1809, autorisaient éventuellement, mais formellement, cette arrestation. »
Le gouverneur Miollis qui doit exécuter cet ordre redoutable n’a pas le choix de l’officier qui passera à l’action ; le général Radet a été envoyé à Rome par l’Empereur avec les forces nécessaires pour cette opération.
La seule initiative du général Miollis est celle de la détermination du moment. Ce sont d’ailleurs les concertations répétées entre Miollis et Radet sur l’opportunité de la date qui ont pu faire croire, selon les historiens, que Miollis se montrait hésitant ou Radet empressé. Quoi qu’il en soit, le gouverneur a bien donné son ordre.
En fait, quatre ordres ont été donnés à Radet pour exécuter sa mission au Quirinal :
- le premier ordre verbal prescrit à Radet d’éloigner le pape de Rome ;
- le deuxième, écrit, a été remis à minuit à Radet, sur sa demande exprès (cet ordre conditionnel porte la marque d’une rédaction hâtive) ;
- le troisième, verbal, est rapporté en secret à Radet par le maréchal des logis Cardini ; il prescrit l’arrestation de deux prélats ;
- le quatrième, verbal, exprimé à haute voix par l’officier de gendarmerie Filipi, en présence de tous les assistants, exige le départ immédiat de Rome du pape et du cardinal.
Que conclure de l’analyse de tous les documents qui relatent cette importante question. Voici une approche qui doit cerner la vérité d’assez près :
- l’idée d’arrêter le pape et de l’éloigner de Rome est en filigrane de la pensée de Napoléon depuis toujours. Elle s’est concrétisée sous forme d’une décision de principe au cours des années 1808-1809, au lendemain de la réunion des États pontificaux de l’Empire ;
- en juin 1809, elle prend la forme d’ordres écrits et se traduit par des dispositions pratiques tendant à transférer le pape à Paris (déménagement d’archives pontificales de Rome à Paris, ordres de transfert des cardinaux et généraux d’ordre, etc.). Dans le même temps, les troupes de gendarmerie sont acheminées sur Rome pour donner à Miollis les moyens nécessaires à l’opération ;
- du 4 au 6 juillet 1809, le roi de Naples et le général Miollis préparent la déposition du pape ;
- le 5 juillet 1809, le général Radet et le général Miollis arrêtent conjointement les détails de l’arrestation compte tenu d’un contexte politico-social dégradé ;
- dans la nuit du 5 au 6, Radet remplit sa mission ;
- l’Empereur est obéi. Ce qu’il espérait à peine est arrivé. Il lui faut maintenant donner à son irréversible audace un contexte diplomatique acceptable. C’est pourquoi il feint l’étonnement et même l’irritation devant l’événement qu’il a lui-même ordonné.
Au ministre de la police :
« je suis fâché qu’on ait arrêté le pape : c’est une grande folie. Il fallait arrêter le cardinal Pacca et laisser le pape tranquille à Rome : mais enfin il n’y a pas de remède ; ce qui est fait est fait… »
À Cambacérès :
« C’est sans mes ordres et contre mon gré qu’on a fait sortir le pape de Rome. C’est encore sans mes ordres et contre mon gré qu’on le fait entrer en France. Mais je me suis instruit de cela que dix à douze journées après que c’est exécuté… »
Au général Miollis :
« Quoique je n’ai point ordonné que le pape fût éloigné de l’état romain, j’ai tant de confiance dans votre dévouement et dans votre zèle pour le bien de mon service, que j’approuve la mesure que vous avez prise… »
C’est déjà la comédie qui succède à la tragédie !
Référence : Maître Lydie BRIOULT
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